dimanche, juillet 24, 2005

reflexion sur certains comportements gestuels dans l'ancien testament.

Catherine Lestang

Les comportements « gestuels » dans l’ancien testament

Quel sens leur donner aujourd’hui ?

La lecture du livre d’Esdras et en particulier du chapitre 9, m’a fortement questionnée. En effet quand Esdras, qui est manifestement une figure du « Juste » apprend qu’il y a eu des mariages « illicites » entre les rescapés et les habitants non juifs, il a un comportement pour le moins étrange à mes yeux. Je cite : Es/9,3 « Lorsque j'entendis cela, je déchirai mes vêtements et mon manteau, je m'arrachai les cheveux de la tête et les poils de la barbe, et je m'assis désolé ».

Cela fait très théâtral, voir un peu hystérique et évoque les rituels de deuils dans les sociétés méditérannéennes. Je dois avouer que ma première réaction a été de me demander ce que Madame Esdras avait dit ou pensé en retrouvant des vêtements de son mari tout abîmés ! Puis, parce que une fois quelqu’un m’a tiré les cheveux très violemment, de me demander pourquoi se faire mal. Je le voyais cet Esdras, en train de s’arracher les cheveux, et je le trouvais un peu ridicule…Pourtant, ne dit on pas quand on a aujourd’hui des problèmes avec ses enfants ou que l’on n’arrive pas à faire quelque chose que l’on s’arrache les cheveux ! Et souvent s’arracher les cheveux est un geste de désespoir… Est-ce ce geste là que fait Dieu quand il regarde son peuple ? Mais je doute fort qu’Esdras puisse s’identifier à Dieu ! Il s’agit certainement d’un geste de désespoir, qui va assez bien avec l’attitude de prostration qui suit. Mais est cela que Dieu attend ? A quoi cela peut-il servir ? Ou encore, qu’est ce que cela signifie ?

Je me suis demandée dans un premier temps, si ce comportement qui consiste à se faire du mal, n’était pas un moyen d’anticiper la punition qui risquait d’advenir. Mais cela avait un côté très puéril, « je me punis avant que Tu ne me puisses, comme cela Tu ne me feras pas de mal ». Cela fait penser aux enfants qui se tapent eux-mêmes (ce qui est peut-être aussi un moyen de se faire moins mal et de dire que l’on sait que l’on mérite une punition), mais est ce l’attitude d’un adulte ? Et puis cela a une connotation un peu masochique : se faire du mal. Par ailleurs, il y a dans le lévitique des prescriptions concernant les holocaustes dont le but est « d’apaiser » Yahvé en cas de faute ou de transgression, c'est-à-dire qu’il existe des « rituels » très précis et bien codifiés. Alors pourquoi ne utiliser ces prescriptions ? Peut-être que ce comportement d’Esdras, fait partie de ces rituels. Dans ce cas, mes réactions spontanées, devaient être amendées !

Je me suis rappelée que le grand prêtre Caïphe, au moment de la passion de Jésus déchire son vêtement. C’est le fait que Jésus ait blasphémé en s’affirmant fils de Dieu, qui provoque ce comportement (Mt26/65). On retrouve aussi cela quand David apprend que Saül a été tué. 2S 7, 11-12, «Il déchire ses vêtements, et tous les hommes qui étaient avec lui en firent autant »…

Ceci servirait il à apaiser Yahvé ? Ne pas Lui laisser s’enflammer contre le peuple ; désarmer la colère, car ce Dieu des volcans, ce Dieu de la montagne, ce Dieu chevaucheur de nuées est un Dieu bien irritable et terrible. La suite du texte dit : Es/9,4 : « Ta colère n’éclaterait elle pas encore contre nous jusqu’à nous détruire sans laisser de reste ni réchappés »

Ceci, a été pour moi le mot révélateur d’une compréhension un peu différente. Que faire pour que la colère n’éclate pas et ne détruise pas, n’anéantisse pas les « survivants fautifs ». Car c’est toujours la transgression de l’alliance et de la loi mosaïque, qui est responsable des catastrophes vécues par Israël. Dans le livre de Jonas, ce qui désamorce la colère de Yahvé, c’est que, du roi de Ninive, au plus petit de ses sujets, tous jeûnent, se revêtent avec un sac, mettent de la cendre sur leur tête et reconnaissent qu’ils ont péché. Il s’agit là d’une sorte de posture corporelle, qui accompagne une attitude plus spirituelle : se reconnaître mauvais.

Dans le monde animal, quand il y a combat, arrive un moment où le vaincu, plutôt que de mourir, prend une posture significative de sa soumission. Il se couche, présente sa gorge, et montre ainsi qu’il se rend. Ainsi, même s’il doit quitter le territoire et renoncer aux femelles, il reste vivant. Ce comportement habituel des jeunes devant les mâles dominants, leur permet de rester dans le clan.

Depuis que les hommes se font la guerre, le vaincu est amené à vivre toute une série d’humiliations. D’une certaine manière il perd son identité, ses possessions, il devient la chose du vainqueur et l’humiliation devient son lot quotidien.

- Désormais il doit se contenter de guenilles, de vêtements en lambeaux. Et cela peut-être la signification symbolique du sac et de la déchirure des vêtements. De plus le vêtement est le signe de l’identité. Or le vaincu dans une guerre, perd son identité. Il devient un vaincu, un esclave. Il s’agit donc là d’une symbolique très forte.

- Il souffre de la faim, car l’occupant vit sur lui et ses richesses (ils mangent mon peuple, voilà le pain qu’ils mangent Ps14/4). Le jeûne, la privation volontaire de nourriture traduit cela.

- Il vit dans la saleté, car il doit travailler et travailler durement pour survivre. Obliger quelqu’un à vivre dans la saleté (voir dans notre folklore l’histoire de peau d’Ane) est une humiliation très forte. La cendre, renvoie à cet état de saleté, si dur à vivre pour un peuple qui doit se purifier plusieurs fois pas jour.

A noter que ces humiliations, Jésus les a toutes vécues durant sa passion et qu’elles sont décrites par Deuxième Isaïe dans les troisièmes et quatrièmes chants du Serviteurs, chants qui sont post exiliques et qui peuvent décrire le vécu d’un bon nombre de déportés. Is506J'ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m'arrachaient la barbe; je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats.

Alors on peut faire l’hypothèse suivante : pour désarmer la colère de Dieu, il est indispensable de prendre la posture du vaincu, ce qui revient à reconnaître dans son corps et par son corps que l’on se met à la merci de Yahvé. Normalement, comme dans le règne animal, ceci doit désamorcer la colère et la vengeance de celui qui a été trahi.

S’arracher les cheveux et la barbe, c’est d’emblée montrer que l’on n’est plus « un homme » car la barbe et les cheveux sont les symboles de la virilité. Quand les envoyés de David reviennent avec la moitié de la barbe coupée, et les fesses nues, ils sont honteux et David les fait rester à Jéricho, jusqu’à ce que leur barbe ait repoussé (2S 10, 4-5).Il s’agit d’un véritable geste d’humiliation.

Il est d’ailleurs possible que le geste d’Esdras, même s’il s’agit d’un geste rituel, (Ba6/30 En leurs temples, les prêtres se tiennent assis, tunique déchirée, tête et barbe rasées, chef découvert); soit un geste symbolique, semblable en cela aux gestes de certains prophètes Il montre ainsi à quel point du fait du non respect de la loi de Moïse, il se sait en faute, il se vit honteux et de ce fait, il prend la posture du vaincu, de l’humilié.

Si David déchire ses vêtements lors de la mort de Saül, c’est qu’il peut craindre que Dieu ne lui en tienne rigueur, car David a toujours respecté la royauté en Saül. De même le grand prêtre, qui pense à tort que Jésus blasphème, déchire son vêtement pour désamorcer la colère d’un Dieu qui voit tout et entend tout !

Ces gestes qui traduisaient la crainte, mais aussi la reconnaissance de la faute, peuvent malheureusement devenir comme tout rituel, un rituel vidé de tout sens et c’est bien ce que Jésus reprochera aux pharisiens, du moins à certain d’entre eux. La pratique remplace le sens… Ps51/18 « Car tu ne prends aucun plaisir au sacrifice; un holocauste, tu n'en veux pas ».

Dans les évangiles la question du jeûne revient dans les conflits avec les pharisiens. Ceux ci reprochent aux disciples de ne pas respecter les jeûnes, et Jésus leur reproche de vider le jeûne de son sens, qui serait de se reconnaître comme vaincu par le mal, le péché. Jésus ne va-t-il pas jusqu’à dire : Mt6/17 : « quand tu jeûnes, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, mais parfumes toi la tête, et ton Père qui te voit dans le secret te le rendra ». Il ne s’agit pas de montrer que l’on jeûne, mais d’être en état de jeûne, c'est-à-dire de se reconnaître dépendant de Yahvé et de se reconnaître aussi solidaire de tous ceux qui d’une manière ou d’une autre tournent le dos à l’alliance.

Mais la « force », la puissance du jeûne existe. Elle est affirmée dans l’épisode de l’enfant épileptique (Mt/17,15). Jésus expliquant à ses disciples aux quels il avait pourtant donné tout pouvoir sur les démons que « cette sorte de démon ne se chasse que par le jeûne et la prière ». En d’autres termes, le jeûne sans la prière ne suffit pas.

Je crois que dans cet épisode, il s’agit d’un combat contre les forces du mal. Cette maladie avec les symptômes étranges et inquiétants qu’elle montre, est comprise à cette époque, comme étant due à l’emprise d’une force mauvaise. Si cette force a pu pénétrer, posséder, c’est qu’il y avait une brèche, due à la rupture, au non respect de l’alliance.

En d’autres termes, ce jeûne là c’est être aussi solidaire de toutes ces ruptures. C’est les reconnaître, c’est savoir qu’on n’est pas fort et que seul Dieu ou ici son Fils sont capables de lutter contre le désordre et de donner la vie. Et reconnaître cela c’est aussi entrer dans la prière. Car jeûne et prière sont indissociables.

Jeûner, cela peut vouloir dire que l’on se reconnaît impuissant et que l’on a besoin de Dieu lui –même vienne à la rescousse. Prier, va dans le même sens. Il s’agit de la même manière de rappeler à Dieu que lui seul est le plus fort.

Le modèle de la prière tel qu’on le trouve dans l’ancien testament est finalement particulier et très riche. La prière commence toujours par un temps de louange très important. Vient ensuite un rappel des bienfaits de Yahvé dans l’histoire du peuple, avec souvent le rappel des transgressions, et seulement ensuite la demande apparaît, presque comme un épiphénomène. Cela revient à remettre réellement Dieu à la première place, à le reconnaître comme Celui qui peut, comme Celui qui peut tout. C’est prendre une place non pas d’humilié, mais d’humilité.

Aujourd’hui, même si au moment de l’entrée dans le carême, l’église demande de jeûner, de recevoir les cendres, ces actes n’ont plus la signification de demande de « non attaque, de non punition », qu’elles pouvaient avoir dans le premier testament. Jésus par sa mort et sa réssurection bloque définitivement la colère de Yahvé et la posture d’humiliation n’est plus de mise. Seulement, depuis Paul, le corps est souvent considéré à cause des pulsions qui sont les siennes, comme un obstacle à la « vraie vie », la vie en Jésus. Il semble que le corps d’une certaine manière devienne mauvais et source de chute. Il faut donc se défier de lui, le maintenir sous une certaine coupe, ne pas se laisser dominer par lui. Le jeûne devient alors un moyen de sortir de la domination du besoin. Mais il y a un risque, même si théoriquement, la souffrance physique voulue, choisie, permet d’une certaine manière de s’identifier aux souffrances de Jésus, la recherche de la souffrance peut devenir perversion.

Il me semble qu’un rôle possible du jeûne, est de créer par le manque lié à la non satisfaction d’un besoin élémentaire,le désir toujours plus grand de faire de la place à l’Esprit donné par Jésus en abondance. On est beaucoup plus dans une optique de désencombrement, de purification. En soi, se priver que ce soit de nourriture ou d’autre chose, est certainement positif, s’il s’agit de rejeter ce qui obstrue le passage de la petite source qui est en nous et certainement négatif s’il s’agit de la recherche d’une performance.

Quand Jésus, est conduit par l’Esprit, après son baptême dans le désert et qu’il jeûne 40 jours et 40 nuits, comment comprendre cette performance si on la coupe de la prière qui lui est « accrochée » ? Ce qui provoque peut-être la présence du démon, ce n’est pas tant la fatigue liée au corps que l’intense relation avec Yahvé, et c’est relation là, qu’il s’agit de subvertir, car elle met en péril le règne du mauvais.

Rendre au jeûne, son sens primitif de se remettre en posture non pas d’humilié, mais « d’orant » devant Dieu, en acceptant de se reconnaître solidaire du mal qui est en nous et en dehors de nous, montre comment une posture, un geste peut devenir significatif et positif. Il ne s’agit plus d’obtenir de Dieu une protection, mais d’entrer en relation toujours plus intime avec Lui. Le salut, c’est peut-être cela.

===========