lundi, octobre 24, 2005

"Qui nous roulera la pierre" Marc, chapitre 16,verset 1

Catherine Lestang

23 octobre 2005

Qui nous roulera la pierre ?(1)

Cette phrase s’est mise à résonner en moi et quand une phrase résonne (raisonne ?), en général, il me faut lui laisser prendre son envol. Je pense que ce n’est par hasard, car il y a des dates anniversaires qui font remonter un passé, une histoire.

Cette phrase, quand je l’écoute, elle renvoie à une inquiétude. Je peux imaginer les femmes chargées de jarres contenant les aromates et tout ce qu’il faut, pour faire du corps de Jésus un beau corps. Parce que ces représentations d’un Jésus bien propre, à la chair couleur de marbre à la descente de la croix, ne peuvent être celles de cet homme meurtri, abîmé n’ayant plus figure humaine. Le lieu où il repose, je sais qu’elles l’ont bien visualisé, qu’elles peuvent le retrouver, mais de là à pouvoir pénétrer, entrer ? Est-ce la pierre qui est trop lourde pour elles ? Est-ce une autre inquiétude ? Que vont-elles trouver la derrière ? Dans quel état va t Il être ? Et si on ne laissait pas entrer ? Et si et si…

Qui nous roulera la pierre ?

L’inquiétude, cette peur de trouver un obstacle quand on « doit » faire quelque chose, obstacle qui risque de faire capoter ce projet, n’est ce pas un sentiment relativement permanent ? De quoi l’avenir sera-t-il fait ? Ce qui est drôle c’est que cette peur qui se focalise sur cette pierre, met au deuxième plan ce qui en est de la tristesse, des larmes. La centration sur un certain agir, évite les sentiments, dont la tristesse, le deuil. Comment faire ? Comment s’y prendre ? A qui demander ? Et cela c’est tellement humain, tellement normal. On s’y (je m’y) reconnais bien dans cette inquiétude qui empêche presque de penser, tellement (je) on est omnubilé par ce « comment faire, comment s’y prendre, ». En d’autres termes aussi, comme en filigrane; la peur de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur, la peur de l’échec. Et puis, souvent, « faire » colmate l’angoisse, car on se sent vivant.

Qui nous roulera la pierre ?

J’ai beau savoir que l’inquiétude cela ne sert pas à grand-chose, ce n’est pas si facile de ne pas la ressentir. Il y a ce beau verset de 1P5, 7 : « de toute votre inquiétude déchargez vous sur Lui, car Il a soin de vous », mais ce n’est pas si simple ! Dans cette histoire, Jésus est mort depuis deux, non trois jours. Il faut le laver, le préparer, cela est bon, c’est le travail des femmes. Mais les soldats l’entendront ils de cette oreille ? Ne vont-ils pas les soupçonner de vouloir l’enlever ? Et la mort en tant que telle, n’est elle pas question, inquiétude pour nous les vivants ? Alors la peur de la mort, on peut la projeter sur autre chose, la peur de ne pouvoir rouler la pierre : désir et peur de « voir ».

Qui nous roulera la pierre ?

Alors je suis déjà allé lire les textes et je me suis rendue compte que seul Marc et non Luc (comme je le croyais) note cette peur, cette inquiétude. Et ces lectures dans leur diversité sont très éclairantes. Mais ce qui se donne à lire c’est que la pierre a été roulée, que le tombeau a été ouvert et que Celui pour lequel elles étaient venues n’était plus là dedans. Ce que je ne sais pas, c’est depuis quand Il n’y était plus, mais ce que je sais ou crois savoir, c’est qu’Il n’avait pas eu besoin de rouler la pierre pour sortir. Finalement est ce que cela valait la peine de s’inquiéter ? Il avait bien dit qu’Il redeviendrait vivant, mais était ce si facile de faire confiance ?

Qui nous roulera la pierre ? Se laisser « rouler » par les textes.


Je reviens maintenant aux textes qui parlent de « cette pierre » qui bloque l’entrée, de cette pierre qui est bien lourde et que de toutes les manières on ne peut déplacer sans aide. Des histoires de pierres il y en a beaucoup dans la bible. Il y a celles qui bouchent les puits, et celles qui sont érigées en mémoire d’une manifestation de Yahvé. Des pierres mémoire… Des pierres qui tuent, qui lapident. Des meules que l’on met au cou de celui par qui le scandale arrive. Alors cette pierre là ? Elle ferme, elle protège, elle isole. Elle sépare aussi. De qui fait elle mémoire ?

+ Dans l’évangile de Matthieu (chapitres 27 et 28), la question ne se pose même pas !


Le soir de sa mort, Jésus est déposé dans un tombeau et la pierre est roulée par Joseph d’Arimathie. Le lendemain, bien que ce soit un jour de shabbat, la pierre est scellée et gardée par des soldats. Rouler la pierre pour accéder au corps et l’embaumer devient un acte très périlleux. Cela ne décourage ni Marie de Magdala, ni l’autre Marie, qui étaient restées assises en face du sépulcre le soir du vendredi.

Et c’est leur arrivée qui d’une certaine manière déclenche une scène étonnante. Il y a « un tremblement de terre ». De telles manifestations sont bien souvent le signe de la présence (et parfois de la Colère) de Yahvé, que ce soit dans l’Exode (Ex 19), Elie (1R 19) et le jour de la Pentecôte (Ac2). Elle est suivie par une apparition de l’Ange du Seigneur, ce qui provoque la débandade des gardes (qui comme les apôtres lors de la transfiguration tombent aussi face contre terre) et enfin de paroles données par l’ange. Peut-être peut-on les mettre en lien avec les paroles données à Joseph (Mt1/20) au tout début de cet évangile, puisque ces mots sont en fait la réalisation de ce qui avait été annoncé à Joseph quant à la nomination de cet enfant.

Curieux cet « L’ange du Seigneur » qui se manifeste ici. Il est celui qui parle à Moïse dans le buisson ardent, juste avant que Yahvé se manifeste lui-même. Parfois il a un nom, parfois il n’en a pas. Mais il est dans la tradition le messager, l’envoyé, le lieu-tenant de Yahvé. De même qu’il n’est pas Yahvé, il n’est pas Jésus. Mais Jésus finalement comme Yahvé (Ex3) se manifeste en personne juste après et confirme les directives données par l’ange : « aller en Galilée ». Peut-être que ce parallélisme avec le buisson ardent montre que Jésus est devenu « Je Suis » ou comme il était annoncé au début de cet évangile « Dieu avec nous ».

Dans cet épisode, il semble que les femmes ne se posent pas la question de savoir qui va rouler la pierre. Elles assistent et elles transmettent. Rôle de femme ? Elles étaient venues pour veiller, maintenant il leur est peut-être donné d’éveiller !

+ Dans le récit de Marc, la question « qui nous roulera la pierre », est posée explicitement.


Le corps a été déposé dans le tombeau, la pierre roulée pour fermer l’ouverture ; et cette pierre est lourde. Mais si un homme est capable de la pousser, on peut quand même imaginer qu’à deux ou trois il est possible de la rouler. Alors pourquoi cette inquiétude ? Savent elles que le tombeau est gardé et la pierre scellée ? Si le fait rapporté par Matthieu est exact, on peut bien imaginer qu’elles sont au courant, et que au petit matin, les soldats seront encore présents. Est-ce l’absence d’autorisation que les effrayent ? Je veux dire que l’inquiétude, ce n’est pas le poids de la pierre, ce n’est pas se savoir « faibles », c’est peut-être de se demander si les soldats vont accepter ou non qu’elles donnent les soins nécessaires. Se dire solidaires de cet homme, n’est ce pas dangereux ? Affronter une soldatesque n’est pas une mince affaire !

Si je reprends le fil du récit, j’y lis que le vendredi soir, les deux mêmes femmes sont là qui regardent, comme pour mémoriser l’endroit. Le troisième jour (mais je dois dire que j’ai du mal avec cette manière de compter, parce qu’il faut se référer à la genèse, où les jours partent du soir au soir, pour arriver au troisième jour, alors que dans ma logique européenne, il n’y a que deux nuits depuis la mort de Jésus) les femmes viennent pour faire le travail. Il est évident que pour elles, la résurrection n’est pas pensable. Elles ont comme oublié ce qui a été annoncé. Alors elles vont faire leur travail de femme, réparer et préparer ce corps qui ne devait pas être bien beau.

Comme pour répondre à leur préoccupation, la pierre a été déplacée, elles peuvent entrer dans cette espèce de grotte. La vision ici est beaucoup moins imposante que chez Matthieu : un jeune homme vêtu de blanc. Simplement quand on s’attend à trouver un cadavre, cela doit faire un choc ! Et de ce choc elles ne s’en remettent pas, puisque le message donné n’est pas transmis, la peur est trop intense ! Elles, on peut dire qu’elles ont vécu un traumatisme ! La peur n’est pas vaincue. Ce qui est étonnant dans la suite du texte, c’est que Marie de Magdala (qui entre temps a vu Jésus) arrive à dépasser sa peur pour raconter sa rencontre. Et sa parole n’est comme rejetée. Dans cet évangile, le témoignage humain n’est pas reçu et Jésus doit se manifester lui-même. Même si la pierre est roulée, ce n’est pas si facile de croire, de faire confiance !

+ Quant à Luc, c’est très sobre. Lc 23/ 50 et suivants.


Joseph prend le corps, l’installe dans une tombe taillée dans le roc. Les femmes sont là et comme il fait nuit, on a à nouveau l’impression qu’il leur faut repérer l’endroit pour pouvoir le retrouver ultérieurement. Quand elles arrivent elles ne se posent pas de question quant à la pierre qui ferme la tombe car le caveau est ouvert. Elles entrent, ne trouvent pas le corps. Là on peut imaginer et leur surprise et leur inquiétude. A nouveau, une apparition transmet un message qui est ici différent : se rappeler les paroles concernant la résurrection, les transmettre aux apôtres. Mais ces paroles ne seront pas acceptées, trop « folles » et elles sont traitées «de radoteuses ». Pierre quand même se posera des questions et ira voir. D’une certaine manière la fin de ceci ce sera la rencontre avec les disciples d’Emmaüs.

+ Dans l’évangile de Jean, Jn 20 et suivants, on peut presque parler de panique.


Parce que là, la pierre a été roulée et elle n’aurait pas du l’être. C’est la pierre qui est signe que quelque chose est arrivé qui n’aurait pas du se passer ! Alors Marie de Magdala(2) en réfère aux apôtres, qui entrent l’un après l’autre, voient les linges mais pas de corps, qui semblent réagir différemment mais sans mots à cette absence de corps, et qui semblent ignorer la femme ! Ce n’est que après leur départ qu’elle s’autorise à rentrer, pour trouver elle aussi des personnages inconnus, qui semblent ne pas avoir été vus par Pierre et Jean. Mais pour elle, c’est quand même la panique : qui a pris le corps de son Seigneur, car pour elle, la résurrection n’est pas imaginable ni représentable. La disparition n’est pas la résurrection mais vol. Les deux hommes, cela ne la concerne pas. Elle, elle voit juste que de corps n’y est plus, qu’il a disparu, qu’il a été pris. Et cela peut éveiller une grande peur, car un mort doit avoir une sépulture. Là encore il y a ce doublet des mots prononcés par les anges et repris par Jésus. Il me semble que ces phrases différentes d’un récit à l’autre, traduisent comme une grande tendresse : dire à chacun les mots qu’il peut entendre. Puis c’est la rencontre ou la reconnaissance avec Jésus, le Un qui est devenu Autre.

+ Alors quatre récits, quatre présentations différentes, quatre réactions différentes.

La pierre qui était là pour fermer, pour obturer a été roulée et le jour pénètre et montre que le corps terrestre a disparu. Un Autre va advenir, un Autre à reconnaître dans une présence-absence, un Autre qu’on ne peut retenir ou posséder.

Il y a là comme un dévoilement. Peut-on dire une apocalypse ? Un autre temps est alors possible, le temps de l’Esprit où la peur sera balayée parla présence de celui dont le corps n’est plus.

Qui roulera la pierre ?

Quand j’étais petite, il y avait près de chez moi un mausolée construit par un anglais qui aimait la ville où j’habitais et qui avait voulu y être enterré, comme pour ne pas la quitter. Moi, cette grande construction vide m’inquiétait, car je ne savais pas à quoi elle servait et qui était dedans. Et puis, je trouvais que une seule personne c’était beaucoup trop grand. Et en même temps j’avais l’impression que le lieu n’avait pas été choisi au hasard. Il était tout en haut d’un chemin qui dominait d’un côté la mer et de l’autre une église où se trouvait sous l’autel dans une chasse, une statue en cire de la sainte protectrice de la ville. Je pense que je faisais un lien entre cette statue et ce mausolée. Sans trop savoir lequel.

J’ai longtemps cru que cette fidélité qui consistait à « monter la garde » devant un mausolée vide et de s’y complaire était peut-être que je devais faire. Et un jour, je me suis rendue compte que le mausolée était vide, et que cette astreinte volontaire était de la folie. On ne peut et on ne doit rester prisonnier du passé, même pour faire plaisir à une injonction qui vient de l’enfance.

Je n’ai pas roulé la pierre parce que je ne crois pas que l’on puisse faire cela tout seul. Un jour la pierre a été roulée, la lumière a pu entrer et j’ai peut-être pu commencer à me regarder autrement, à vivre autrement, à me sentir autrement.

Mais des pierres à rouler, il n’y en pas une mais un certain nombre. Il me semble avoir lu autrefois des commentaires de cette phrase qui se centraient sur les zones tombeaux qui sont en nous. Je ne suis pas sûre que ce soit une chose saine que de se centrer là-dessus. Les zones d’ombre, elles font aussi partie de nous, simplement l’important est d’éviter de faire comme si elles n’existaient pas.

Je sais juste que quand cette pierre a été roulée, « la vie s’est manifestée ».1Jn 1,2 et que cette manifestation là, même si elle n’a pas pris sens tout de suite, elle a été libération.

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[1] Mc 16,1

[2] Si cette Marie est la sœur de Lazare, rendu à la vie au bout de 4 jours par Jésus, cela peut paraître curieux qu’elle ne se soit pas remémorée ce que Jésus avait été capable de faire ! Mais elle c’est autour du corps disparu que se focalise sa peur.

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