mardi, avril 25, 2006

Au bord du lac

Catherine Lestang

21 Avril 2006

A propos des pêches miraculeuses

Jn 21 et Lc 5.

Bien souvent dans l’évangile de Jean, on a l’impression de retrouver des épisodes appartenant aux évangiles synoptiques, mais traités très différemment. Il est quand même surprenant de trouver en finale (le texte de la pêche miraculeuse des 153 poissons entendu aujourd’hui à la messe) un récit qui se trouve presque en introduction chez les autres évangélistes. Et pourtant il s’agit d’épisodes centrés sur Pierre et sur le rôle particulier qu’il lui est demandé d’assumer, mais les visions sont très différentes si ne n’est que ces signes permettent à Pierre de reconnaître en Jésus le Messie.

En entendant ce midi les versets 1-15 du chapitre 21 qui termine l’évangile de Jean, j’ai eu une distraction, mais peut-on appeler cela une distraction ? Je me suis demandée comment Jésus, qui depuis sa résurrection semble se jouer de l’espace, s’y prend pour « faire apparaître » un repas (petit déjeuner) à ces hommes qui viennent de passer une nuit dans le froid. Car si on essaye de se représenter la scène (cène) cela fait un peu magique, miraculeux.

En fait, j’ai été comme sidérée par ce que j’entendais. La scène est banale, mais si je visualise Jésus qui fait cuire du poisson, et griller du pain, je me suis amenée à me demander comment il s’y est pris. Pas d’allumettes à l’époque, pas de magasins ouverts 24h sur 24! Et pourtant, Il y a un feu de braises, du poisson et du pain qui grillent. Et ce repas un peu surgi de nulle part, est aussi à l’image de Jésus ressuscité, que l’on ne retient pas, qui n’est plus limité dans le temps et dans l’espace, qui change même d’apparence.

Et j’ai eu comme l’impression d’être dans un ailleurs, où il suffit de désirer le feu pour qu’il soit là, des braises pour qu’elles rougeoient, du poisson pour qu’il vienne se mettre sous la cendre et du pain qui se rompt pour être partagé. Un peu peut-être ce qui se passe à chaque repas de la messe.

Le monde du miraculeux quand on essaye de le mettre en images, est bien déconcertant car il dépasse notre savoir, notre logique, notre rationalisme.

Ce qui semble certain c’est que quand les disciples ont embarqué il n’y avait personne sur le rivage. Sinon, ils n’auraient pas été surpris en voyant quelqu’un sur le rivage après leur pêche infructueuse.

Donc, quelqu’un est arrivé à l’aube (et si on est peu de temps après la résurrection, les nuits sont encore bien froides en cette saison) ; ce quelqu’un a fait du feu avec du bois ramassé quelque part, a préparé un casse croûte. Cela c’est la scène connue, habituelle. Mais comment s’y est il pris pour allumer ce feu ? Cela reste mystérieux.

Je ne peux imaginer Jésus quémandant des braises dans une maison proche du lac, les transportant dans un tesson de poterie, ramassant du bois en quantité suffisante pour en faire des braises. Même s’il a trouvé « miraculeusement » des braises à cet endroit, où a t il pris le pain ? Quand a-t-il péché les poissons ? Et cette interrogation qui est née sur le « comment » s’y est il pris, renvoie aussi à l’autre question qui elle court dans tout l’évangile, à savoir « Qui est Il celui la » (à qui la mer et les vents obéissent…°) qui est devenu le Vivant. On est tellement habitué à lire les récits de miracles que l’on finit par ne plus les voir. J’ai entendu dire que pour qu’il y ait miracle, il faut qu’il y ait un support : la multiplication des pains a nécessité les cinq pains, les guérisons s’appuient sur des demandes et sur un corps malade. On ne part pas de rien, on ne fait pas surgir du néant (ou du tohu-bohu). C’est la règle de notre univers où comme l’écrivait Lavoisier « rien ne perd et rien ne se crée ». Mais Lui, on dirait bien qu’il se joue de cette logique ! Ce Jésus qui a été capable de marcher sur la mer et après la résurrection de se manifester où il veut, comme il veut et quand il veut, qui est IL ?

Là, certes il y a du bois sur les rives du lac, mais comment s’y prendre pour enflammer les branchages ? Comment s’y prendre pour pêcher des poissons, comment avoir du pain ? Quel est ce nouvel ordre ? Est cela « le ciel nouveau, la terre nouvelle » ? Car ces signes obligent bien à regarder Jésus avec une autre dimension que la dimension du guérisseur charismatique de Galilée.

Ce questionnement m’a permis dans un premier temps (pendant le temps de l’homélie que je n’ai écoutée que d’une oreille !) de regarder Jésus de Nazareth comme un tout Autre, comme quelqu’un qui sort de notre univers, d’être surprise interrogée par Celui là. Pain grillé de ce petit matin là, sur la rive du lac, pain un peu inodore et sans saveur, qui est Lui dans cette assemblée. Et cela m’a permis de Le voir autrement, peut-être plus grand, peut-être plus Dieu, peut-être plus dans la « gloire ».

Et par la suite, au-delà de cette interrogation, « Qui est Il Celui là , qui fait surgir du réconfort», une autre thématique m’est apparu : celle du rôle de ces pêches miraculeuses, mais aussi des harmoniques liées à la pêche, à l’eau, au feu…Quand je parle d’harmoniques, ce sont ces espèces de ponts qui se font d’un évangile à l’autre, parfois d’un testament à l’autre, où cela s’éclaire, vibre autrement, chante autrement. Avant de revenir à ces harmoniques, je voudrais en citant le texte de Jean, faire des rapprochements avec d’autres passages (italiques) tirés de l’évangile de Luc.

21,3Simon-Pierre leur dit : «Je vais pêcher». Ils lui dirent : «Nous allons avec toi». Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.

21,4C'était déjà le matin lorsque Jésus vint se placer sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.

21,5Il leur dit : «Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson» ? «Non», lui répondirent-ils.

21,6Il leur dit : «Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez». Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.

Lc 5,5 Simon répondit : « Maître, nous avons péché toute la nuit, mais sur ta parole je vais lâcher les filets. » Et l’ayant fait ils capturèrent une grande multitude de poissons et leurs filets se rompaient.

21,7Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : «C'est le Seigneur» ! Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.

Marc 3,16Il institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre,

Jn 13,9 Simon Pierre lui dit : « Pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! ». Jésus lui dit : « qui s’est baigné n’a pas besoin de se laver, il est pur tout entier. »

21,8Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à 200 coudées environ.

21,9Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.

21,10Jésus leur dit : «Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre»

Lc 9,16 : Prenant alors les 5 pains et les 2 poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, et les rompit et les donnait à ses disciples pour les servir à la foule

21,11Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient 153 gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.

Lc 5,5 et leurs filets se rompaient.

21,12Jésus leur dit : «Venez déjeuner». Aucun des disciples n'osait lui poser la question «qui es-tu» ? : Ils savaient bien que c'était le Seigneur.

Lc 9,20 : Mais pour vous leur dit-il Qui suis-je ? Pierre répondit : « le Christ de Dieu »

21, 13Jésus vient, il prend le pain et le leur donne ; et de même le poisson.

Lc 21,19 : « puis prenant du pain, il rendit grâces, le rompit et le leur donna ….

Jn 21,15-18 : Fais paître mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis, fais paître les brebis »

Lc5, 6 « A cette vue, Simon Pierre se jeta aux genoux de Jésus en disant : « Eloigne toi de moi car je suis un homme pécheur ! ». La frayeur en effet l’avait envahi…Mais Jésus dit à Simon : «sois sans crainte ; désormais ce sont des hommes que tu prendras. »

Pour revenir à ce que j’appelle les harmoniques (associations diraient les psychanalystes), il y a ce feu de braises. Cela rappelle un peu Emmaüs. Cœur brûlant, braises du feu, chaleur de feu et du repas. Partage. Mais c’est donné. Certes il y a les poissons pêchés, mais ils sont aussi cadeaux.

On voit toujours Jésus invité à des repas, on ne le voit jamais préparer. Donne moi à boire, dit il à la Samaritaine…Là, c’est lui qui invite, qui prépare. Une autre dimension naît. Pas venu pour être servi, mais pour servir…

Et puis si braises il y a, c’est que le feu brûle déjà depuis longtemps, alors peut-être que Jésus veille sur les apôtres, alors que eux n’ont pas pu veiller avec lui. Les braises, pour un tout à chacun c’est un peu le feu de l’amour qui rougeoie, qui éclaire dans la nuit. C’est un feu sans flammes qui apporte de la chaleur. Buisson ardent qui ne se consume pas, colonne de feu dans le désert…

N’est ce pas près d’un feu que Pierre a été pris de panique ? Qu’il n’a pas eu le courage de se déclarer « pour » Jésus ? Ce soir là (jeudi), cette nuit là, cette aube là (vendredi), le feu servait à se réchauffer, car la nuit était froide ! Feu témoin de la panique, feu témoin de la confiance renouée. Confiance renouée entre cet homme transi qui vient de se jeter dans l’eau et Jésus qui l’attend et qui donne en abondance chaleur et nourriture (besoins primaires indispensables à la vie).

Les braises c’est bien souvent pour nous le symbole de l’amour qui ne s’éteint pas, qui ne meurt pas. Sur ces braises, il y a peut-être des pierres plates qui chauffent et sur ces pierres, du poisson et du pain. Et là une autre harmonique qui surgit : la multiplication des pains.

Et ce feu, cette nuit là, va servir à réchauffer, mais aussi et surtout à nourrir, à restaurer (au sens fort du terme) Pierre le mouillé, Pierre l’impulsif, Pierre qui a subi son baptême du feu et son baptême de l’eau.

Quant au poisson, nous savons qu’il a été le symbole de Jésus « fils de Dieu », mais il y a aussi le poisson de Tobie qui doit être maîtrisé, tué et « vidé » pour devenir guérison de l’aveugle Tobit et ce drôle de poisson péché par Pierre qui contient la didrachme que Jésus doit payer à Capharnaüm.

Pour terminer, je cite le verset 12 qui fait un peu la transition avec ce qui va suivre, mais que nous entendrons au moment de la Pentecôte. Mais Pierre est prêt à aimer comme Jésus aime…

Jn21, 12: Aucun disciple n’osaient lui demander : « Qui es-tu » sachant bien que c’était le Seigneur. Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta aux disciples, une fois ressuscité d’entre les morts.

Troisième fois, troisième jour.

Jour de la présence de Yahvé sur la montagne sur Sinaï.

Jour de la résurrection…

Telle que je me connais, je crois que je lui aurai demandé « Qui es tu, Toi ? » Et cela je crois savoir que je n’ai pas fini de le découvrir.

Une nouvelle distraction en perspective ? Pourquoi pas ?

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vendredi, avril 14, 2006

Lavement des pieds et buisson ardent.

Catherine Lestang

jeudi 13 avril 2006 Jeudi Saint.


Réflexions matinales sur le lavement des pieds.

Quand Jésus lave les pieds des disciples il fait un geste bien différent du lavage des mains des pharisiens avant de prendre le repas, tout repas. Il enseigne quelque chose et il révèle qui Il est. Ce geste m’a fait penser à ce qui se passe pour Moïse: « enlève tes sandales car le sol que tu foules est saint » quand il s’approche de ce buisson qui brûle sans se consumer. D’une certaine manière, c’est ce qui va se passer pour Jésus qui semble brûlé par la passion, mais qui redevient autrement vivant après la résurrection. Jésus temple de la présence de l’Esprit est le buisson ardent.

Et ce qu’Il va créer au cours de ce repas, même si ce n’est pas rapporté par Jean, c’est bien aussi de donner quelque chose qui ne se consume (consomme) pas, qui d’une certaine manière ne se dégrade pas, qui demeure.

Le buisson ardent, c’était le signe de la « présence de YHWH », et ne pas se consumer est totalement en opposition avec les lois de notre univers. Pour Jésus il en va de même. Si on admet qu’Il se rend présent sous ces espèces du pain azyme et du vin, il est bien présence de Dieu parmi les hommes et le fait de la purification est une nécessité pour les humains que nous sommes. Mais là c’est Jésus qui initie le geste, ce qui change peut-être la donne. C’est Lui qui introduit dans un lieu où la vie est présente.

Pour en revenir à ce geste, il me semble qu’il délimite un dedans et un dehors ou un avant et un après. Pour pénétrer dans le dedans qui va être comme révélation de la présence de dieu (du divin), un geste est nécessaire. A la limite ce lavement des pieds est presque une sorte de baptême (d’ailleurs c’est ce que demande Pierre); le contact de l’eau, mais surtout de Jésus rend pur (comme le lépreux est purifié par le contact avec Jésus).

Avant de rentrer dans le sanctuaire, le saint des saints, le grand prêtre doit procéder à toute une série de purifications pour lui. Or Jésus n’a pas besoin de cela. Mais ceux qui seront ses lieu- tenants en ont besoin, même s’ils ne comprennent pas.

Ce geste accompli par Jésus renvoie au symbolisme de toute purification. Laver les pieds, enlever la poussière ramassée sur la route, les cailloux, nettoyer peut-être les blessures occasionnées par la marche. Cela peut aussi s’entendre comme « entrer en laissant dehors les scories de la vie », lâcher les préoccupations qui nous prennent la tête, à défaut des pieds. Il s’agit d’évacuer toutes ces préoccupations qui nous encombrent, tout ce faire, tout cet agir, qui nous remplissent en permanence, qui font comme une carapace rigide qui nous empêche de bouger, d’être vivants.

Mais il y a aussi les mots de Jésus pour commenter ce geste : « vous m’appelez maître et Seigneur et vous avez raison… vous devez vous laver les pieds les uns les autres ». Jésus qui a été le roi d’un jour en entrant à Jérusalem, affirme qu’il est à la fois maître (rabbi, savant, enseignant, initiateur, éveilleur) et Seigneur, c'est-à-dire Chef, lui qui est d’origine populaire, qui n’est pas oint par les autorités.

Et pour entrer dans cet autre lieu il faut être purifié par Lui, mais aussi renoncer aux prérogatives du pouvoir, du « être servi ».

Si l’on repense à la demande des fils de Zébédée juste après la transfiguration, c’est bien cela le désir caché des apôtres et le nôtre si nous sommes un peu objectifs! C’est peut-être aussi parce que Judas a compris que cela ne sera pas, qu’il se décide à partir, à trahir.

Alors une fois ce geste fait, la reprise du repas peut se faire, mais même si Jean ne le dit pas, la tonalité est autre, comme si c’était une autre table, un autre repas. Un repas c’est un partage. Ce repas là est par définition un mémorial. On va passer d’un mémorial de libération de l’esclavage en Egypte à un autre mémorial, une autre libération.

Il y a le partage du pain, le pain azyme; (pain du pauvre, du fuyard, rappel de la manne) et le partage de la coupe (sang répandu sur les linteaux qui permet à Israël d’échapper à la perte de sa descendance). Ce soir là, c’est comme séparé. Mais bientôt cela va être réuni dans un corps qui se donne et qui se vide, qui perd son esprit.

Le faire mémoire remplace le mémorial de Moïse. Mais cela ne devient réellement plénitude que dans l’après coup de la résurrection, où ce qui est séparé, mortel et signe de mort redevient vie.

Là l’important c’est que comme dans une sorte de testament Jésus donne une tâche, un "faire" à ceux qui sont ses frères. Et cela est facteur d’union, alors que la désunion est sur le point de se produire. Peut-être faut-il aussi pour rester un peu dans la problématique du buisson ardent, présence de Dieu parmi les hommes, prendre ce mémorial comme la réalisation de l’amour qui unit, qui donne vie, comme le pain et le vin (sang) qui vont devenir la nourriture permettant d’accéder au divin.

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samedi, avril 01, 2006

"poignet cassé" février avril 2006

Catherine Lestang

Petites réflexions suscitées par un accident de ski.

Il m’est arrivé il y a quelque temps un accident de ski: fracture du poignet; cet évènement m’a progressivement amenée à un questionnement sur la faute, sur le péché, car je me suis sentie comme obligée à lutter contre une certaine culpabilité et du coup à « marcher » sur ma douleur et essaye d’en faire le plus possible, comme si rien ne s’était passé. Cela se passait comme si c’était de ma faute ! Comme si la chute était comme la sanction du plaisir pris (volé même). Comme si j’avais transgressé des interdits (aller peut-être un peu trop vite, prendre du plaisir). Comme si l'hypothèse de "pas de chance" n'était pas envisageable. Et ceci m’a amenée à réfléchir une fois de plus sur la faute, le péché, la culpabilité et ce qui en est dit dans la bible.

En fait je voudrai structurer ma réflexion autour de deux axes. Le premier étant sur l’intériorisation des interdits et ce qu’il en coûte de les transgresser, le second étant plus centré autour du péché et de sa connotation anale, mais ce point fera à lui tout seul l’objet d’un autre post et seules quelques prémices seront abordées ici..

De l’intériorisation des interdits.

Les interdits surmoïques ont la vie dure et je crains aujourd’hui de les avoir transmis à mes enfants ! Même si j'ai au moins la capacité de mettre des mots, d’associer avec des événements de mon enfance, je dois dire qu'il s’agit d’un véritable travail psychique à engager et mettre à diustance la culpabilité n'est pas si simple.

Si je reviens aux interdits, à ceux qui ont structuré une partie de mon enfance, concernant cet accident je peux en relever deux, qui sont « gravés », non sur la paume de mes mains, encore que..., mais bien au fond de moi (ce qui revient au même). Cela peut s’appeler des injonctions et j'en retiens deux.

La première était : « regardes où tu mets les pieds quand tu marches (ne regarde pas le paysage) sinon tu vas tomber et ce sera de ta faute ». Il y avait aussi une interdiction de marcher dans les flaques d’eau, car éclabousser, donc salir ma mère était défendu. Et pourtant dieu sait à quel point les enfants adorent marcher dans les flaques ! Donc premier point, s’il m’arrive un accident, c’est que je l’ai cherché en n’étant pas attentive et en prenant du plaisir ! Il y a une image de désobéissance, de culpabilité, de faute, donc de punition. Ce qui renvoie bien à une lecture immédiate de l’interdit de ne pas manger de l’arbre de la connaissance donné dans la genèse.


Je veux dire que si on me montre que c’est bien appétissant (bien tentant) alors en oubliant ce qui m'a été prescrit, je vais en prendre, goûter, expérimenter, avoir du plaisir, apprendre, savoir…°Donc, si cela me rend malade, il ne faudra pas me plaindre (et d’ailleurs personne ne me consolera), car je l’aurai bien cherché ! Très longtemps quand je marchais sur un sentier de montagne et quand je cognais une pierre, j’étais persuadée que j’aurais du l’éviter, que c’était de ma faute. Voir d’autres que moi buter dans les pierres m’a beaucoup rassurée. Moi je n’avais pas d’ange « pour éviter qu’à la pierre mon pied ne heurte », ce que au fond de moi, je trouvais très injuste!

La deuxième injonction était autre, il s’agissait de « faire honneur à ma mère » et donc de ne pas lui « causer » de soucis. Ainsi, si je suis malade, elle va devoir s’occuper encore plus de moi, et ça il ne faut pas. Je ne dois pas l’empêcher de vivre sa vie de femme. Je ne dois pas être un poids (poids nié /poignet). Si je pèse, alors je suis coupable. Et puis si je suis malade, outre le souci que cela va générer, il y a des choses que ma mère m’avait confiées et qu’elle devra faire à ma place.

Par ailleurs pour tout humain, « le faire » donne le sentiment d’être utile, donc d’exister…Et ne plus pouvoir faire est donc très culpabilisant du moins pour moi. L’idée de se faire servir, de faire faire à un autre ce que j’imagine être de mon ressort (m’appartenir) est d’ailleurs proscrite.

Aujourd’hui, à un niveau conscient, je pense que l’enfant que j’ai été, n’a pas été consolé quand il en avait besoin et qu’il a appris à se débrouiller seul et c’était cela aussi qui lui donnait un sentiment d’exister de manière autonome. C’est un moyen comme un autre de se narcissiser. Je crois aussi que cette manière de fonctionner revenait à « réparer » ma mère et à lui permettre de donner d’elle, dans le milieu social qui était le notre, l’image d’une mère qui élevait bien sa fille. Je veux dire qu’il me fallait être une petite fille valorisant sa mère, et marcher sur ma douleur, pour qu’elle soit fière de moi, était une véritable gratification (que je pouvais m’offrir).

Aujourd’hui, avec le recul, je peux me dire que ce n’est pas pour rien que professionnellement j’ai essayé de « consoler » des personnes malmenées dans leur corps, alors que moi, je sais qu’il m’est très difficile d’accepter la consolation ! La prière de François d’Assise, il y a plus de plaisir à consoler qu’à être consolé, je l’ai certainement fait mienne, mais ce faisant, je crois aujourd’hui que je me suis privée ou que je me prive de quelque chose. Ce n’est pas quelque chose qui m’a été donné et ce d’autant moins que ma mère qui m’a eue juste au moment de l’exode en juin 1940, n’a pas pu non plus se faire chouchouter par qui que ce soit, puisque sa mère n’était pas là !

Pour en revenir à l’oubli des injonctions maternelles, cela revenait à faire comme si ma mère n’existait pas, comme si je la niais. Et nier quelqu’un qui s’est « sacrifié » pour vous, cela ne se fait pas et c’est mal. Par voie de conséquence, si je vis ma vie comme je l’entends, si je prends des risques et si la réponse à la prise de risque est une réponse du type accident ou maladie, c’est que je l’ai bien cherché en « désobéissant » et donc que je suis coupable.

Or une certaine lecture de la bible va dans ce sens. Pour que l’alliance entre YHWH et son peuple fonctionne, il faut que ce dernier soit en lien constant avec son créateur, que ce soit dans son cœur et dans son corps. Tout oubli est en général sanctionné avec une grande violence. Les livres de l’Exode et des Nombres sont assez exemplaires pour ce type d’enseignement.

Et si on y réfléchit un peu, cette posture de relation constante à l’autre est assez antinomique(1) avec le développement humain qui va vers l’autonomie (relative) de se suffire à soi même, de combler ses besoins de « gagner » sa vie.

C’est bien l’oubli (plus ou moins volontaire) de l’interdiction donnée en Gen2, 19(2). « De tous les arbres du jardin, tu mangeras, tu mangeras, mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, oui du jour où tu en mangeras, tu mourras tu mourras. » qui provoque la catastrophe, qui de mon point de vue est double. La première est l’exclusion du lieu « paradisiaque » avec en prime la finitude (la mortalité), la seconde étant de se voir dans sa fragilité intrinsèque, car l’homme est un animal bien fragile et bien peu armé pour se défendre contre les animaux et le climat.

Si on revient au mythe rapporté dans la genèse, l’ouverture des yeux est très importante. Combien de fois Jésus reprochera t il à ses auditeurs d’être « aveugles ». Le petit d’homme à la naissance ne voit que les différences de luminosités, et il faut presque 8 années pour que la vision de l’enfant devienne celle de l’adulte. Le « voir » prend du temps à se mettre en place. La transgression ne donne pas le pouvoir du dieu, mais la perception de la juste réalité de l’homme, à savoir sa faiblesse. Il passe brutalement de la toute puissance infantile à la réalité de l’impuissance et à son incapacité à se défendre lui qui n’a ni carapace, ni armes ! Lacan dans le stade du miroir a une très belle formule ; il parle de « l’assomption jubilatoire » de l’enfant dans les bras de sa mère qui se voit et qui la voit dans le miroir et qui alors qu’il ne marche pas encore se voit vertical, debout, entre terre et ciel, en devenir. Tous nous passons par là, tous nous apprenons que la terre est basse et que les chutes sont rudes.

La suite du récit qui suit cette « ouverture », cette perte d’un certain infantilisme (que l’homme devait perdre un jour ou un autre), insiste sur la peur, sur la nudité. Je cite : Gn,3 ,9-10 Yahvé Dieu appela l'homme : "Où es-tu ?" dit-il; "J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché."

Je crois que la peur n’est pas liée à la honte de se voir nu et sexué. Elle est sous tendue par la réalité corporelle de la fragilité de l’humain. Je me demande même si la feuille du figuier n’est pas de l’ordre du camouflage : si l’homme peut se fondre avec la nature environnante, il ne se fera pas attraper, et les mains d’un Dieu peuvent être bien inquiétantes ! Les images d’ogre et de géant sont omni présentes et bien dangereuses ! Et on peut bien imaginer la peur de l’Adam devant ce Dieu qui lui ressemble, mais qui possède toute la force du dieu créateur.

Le problème c’est qu’il y a comme un amalgame entre nudité sexualité et saleté et que de ce fait celui qui faute devient sale…

L’oubli de la parole de l’Autre, fait entrer la mort, et désormais la quête de l’humain sera de retrouver une vie éternelle, accordée -si et seulement si- la volonté du Dieu créateur est respectée et aimée. Etre sauvé, (salut) c’est cela : être vivant. Curieusement, c’est dans un autre lieu, qui lui est un lieu de mort, à savoir le Golgotha, que l’obéissance « amoureuse » permettra de sortir de la mort pour accéder à la vie. Mais cette obéissance là, qui n’est pas liée à la peur, à la crainte, l’homme en est il capable ?

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[1] Du moins dans notre culture actuelle. Toute l’éducation est là pour permettre à l’enfant de devenir capable progressivement de subvenir à ses besoins.

[2] Traduction André Chouraqui.