lundi, mars 26, 2007

Claudia femme de Pilate: une lettre

Catherine Lestang

Lettre à mon amie Caecilia.

Ma Cécilia,


L’âme de ta Claudia est dans le désarroi. Elle éprouve le besoin de parler à son amie de toujours, celle avec laquelle elle a grandi jusqu’à son union avec Ponce Pilate.Comme tu le sais, il est procurateur de Judée.

Aller de garnisons en garnisons, même avec les honneurs dus à notre rang n’est pas facile à vivre, mais je dois dire qu’à Jérusalem c’est le pire de tout, surtout au moment des fêtes religieuses, et elles ne manquent pas. Trois fois dans l’année, les foules se pressent au temple. Ça parle toutes les langues, ça grouille de partout et le risque d’émeute est grand.

Je t’envie tant d’être restée à Rome (même si je sais que là aussi la politique est souveraine), mais au moins tu ne vis pas avec la menace permanente d’émeutes.

Car ici, malgré tout ce que nous avons pu apporter à cette population, nous sommes toujours les « mauvais ». Il faut te dire, qu’une grande partie de la population croie en un Dieu qui même s’il n’est pas très différent de notre Jupiter, interdit tout contact entre eux et nous. À tel point, que nous ne pouvons pas recevoir de juifs chez nous ni aller chez eux. Il y a comme un mur! Ceux qui travaillent avec nous et pour nous sont même considérés comme des « pécheurs » et ceux qui se réclament de la religion ne veulent pas avoir de contact avec eux.

Tu sais que en tant que procurateur, mon mari a droit de vie et de mort sur cette population. Bien entendu, souvent pour des problèmes domestiques d’adultère, ils n’hésitent pas à lapider sans rien nous demander, mais là récemment c’est lui qui a du prendre la décision de mettre à mort un de ces multiples agitateurs qui sont considérés comme des sauveurs (ils disent des messies) par le peuple. En général ces hommes-là, qui ne supportent pas notre domination, fomentent des émeutes pour nous chasser, comme si Rome allait se laisser intimider. Mais là c’est différent.

Celui-là qui porte le nom de Jésus ce qui dans leur langue veut dire « Dieu sauve » est assez particulier. Il n’a jamais parlé de nous mettre dehors, par contre c’est un guérisseur, un faiseur de miracles, et une sorte de moralisateur. On raconte beaucoup de choses sur lui. Il n’a pas d’instruction, mais il en remontre à ceux de sa religion qui sont des rabbis et des docteurs de leur loi.

Mes amies juives m’ont rapporté combien il est intransigeant, combien il attaque les autorités religieuses de son pays. On dirait qu’il est comme investi d’une mission divine. C’est d’ailleurs ce qu’il de lui. Il dit être le fils de ce Dieu qui est le Dieu de ce peuple. Il se permet de faire des guérisons et des miracles le jour du shabbat qui est pour ce peuple un jour consacré à la prière et au repos.Quand on lui dit que c’est contraire à la loi (car ils ont une loi qui aurait été révélée dans les éclairs et le tonnerre en Egypte, à l’époque où ce peuple s’opposait au pharaon qui tenait les deux Egyptes), il rétorque que le « le Shabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Shabbat » et je dois dire que cela (cette liberté ) me plaît.

Toujours est il que son dernier fait de gloire a été la résurrection d’un mort (un certain Lazare de Bethanie). Cette ville est proche de Jérusalem et même nous, nous avons été informés. Inutile de te dire que les prêtres ne peuvent le supporter, d’autant qu’il a dit que si on le tuait, il redeviendrait vivant.

J’en arrive donc à ce qui me tourmente. Il y a donc en ce moment une de leurs fêtes religieuses, ce qui veut dire que des juifs du monde entier se retrouvent ici et que c’est un moment à risque pour nous. Cet homme Jésus, a été arrêté par les prêtres, mais au lieu de le lapider et de nous mettre devant le fait accompli, ils l’ont amené à mon mari pour lui demander de le mettre à mort. Comme tu le sais la mise à mort de ces juifs c’est la mort des esclaves sur une croix. Ils disent que cet homme veut devenir le roi des juifs et prendre donc la place de notre bien aimé César. Mais vois-tu cette scène là, cette scène où mon mari devrait rendre la justice pour cet homme j’en avais rêvée avant qu’elle ne se produise. J’avais vu cet homme enchaîné, sali, humilié, amené au prétoire. J’avais vu l’embarras de mon mari. J’ai compris qu’il allait être mis à mort d’une manière tout à fait injuste et que cela d’une manière ou d’une autre peut-être pas maintenant conduirait à la chute de notre empire. Car cet homme-là, il parle d’un autre royaume, d’une autre manière de vivre et d’être. Il n’a rien fait de mal, il est fidèle à ses convictions et je me demande ce qui va se passer maintenant que mon mari, pour ne pas avoir de problèmes avec eux, a accédé à leur demande. Il leur a bien dit que ce n’était pas de ressort, il lui l’a fait flagellé pour faire naître en eux de la compassion, mais ils étaient déchaînés et rien n ‘y a fait.

Moi qui ne me mêle jamais de ses affaires, je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire dire « de ne pas se mêler de l’affaire de ce juste », parce que mon rêve est un rêve de mort, un rêve de mauvais présage pour nous, comme si son fantôme allait venir nous persécuter pour cet acte injuste. La seule chose qu’il a fait a été de « se laver les mains » du sang de cet homme, pour que cela ne retombe pas sur nous, mais sur ce peuple de fous.

Je parle de peuple de fous, mais au fond de moi,je dois être aussi un peu folle, car s’il a été capable de redonner la vie à un mort, pourquoi son Dieu ne ferait il pas le même chose pour cet homme qui a été son Serviteur et qui aurait dit un jour « détruisez ce temple et moi je le rebâtirai en trois jours ».

J’ai haï cet procès, j’ai détesté la position de mon mari et j’espère que la vie sera plus forte que la mort, et que au moins le message ce cet homme ne se perdra pas. Car je sais qu’il a été crucifié, et mis dans un tombeau. Je sais aussi que son corps a disparu et ma peur demeure.

Qu’aurai-je du faire ?

Tes bras me manquent ma Cécilia. Réponds moi vite pour me parler de Rome.

Ta Claudia

Marie de Nazareth: "non je n'aime pas Jérusalem".

Catherine Lestang
Marie de Nazareth.

Ma ville à moi c’est Nazareth, pas Jérusalem. Toute ma famille vit à Nazareth, mon époux Joseph qui lui était de Bethléem y est enterré. Mon fils Jésus lui arpente tout le pays depuis presque 3 ans. Pour les notables, notre Galilée a mauvaise réputation. Ils la considèrent comme une province impure. Est ce l’histoire de cette terre ? Est ce la proximité de villes grecques ? D’ailleurs ceux de Jérusalem se moquent de notre accent! Et pourtant elle est belle et fertile cette terre.

Aujourd’hui je suis à Jérusalem parce que j’essaye de rester dans le sillage de mon fils. Mais je n’aime pas Jérusalem. Mon fils dit que cette ville tue les prophètes. Et Lui Il est un prophète.

Quand il a commencé à dire qui Il était, après son baptême par son cousin Jean dans les eaux du Jourdain, à parler du Royaume, à guérir, à enseigner, j’ai essayé tout en restant très discrète, de ne pas trop m’éloigner. Mais avec ma famille cela n’a pas été facile ; car très vite ils se sont rendus compte que Jésus allait s’attirer des ennuis et donc en attirer aussi à notre famille. Ils auraient bien voulu qu’il rentre tranquillement à la maison, qu’il reprenne son métier de charpentier.

Quand nous avons essayé, ou plutôt quand ils ont essayé de le ramener à ce qu’ils croient être la raison, il a eu des phrases dures envers nous : « Qui sont mes frères, qui est ma mère ? Ce sont ceux qui entendent la parole de dieu et la suivent ». La parole, je laisse résonner et agir en moi depuis toujours, mais que c’est difficile d’être la servante du Seigneur ! Que c’est difficile d’être la mère d’un tel homme.

Il faut dire que mes relations avec lui ne sont pas si simples. À Cana, là c’était tout au début, nous étions invités, moi avec notre famille, lui avec ses disciples, ces jeunes hommes qui avaient été appelés par lui, pour ce mariage. Je m’étais rendu compte que le vin allait manquer et je n’ai pas pu m’empêcher de le lui dire ; souvent les hommes ne remarquent pas ce genre de chose. Il a eu une phrase étrange, comme s’il voulait mettre une distance entre moi et Lui, comme si moi je ne savais pas qu’il n’était pas mon fils mais Son fils. Il m’a dit : « Femme, quoi entre toi et moi ». Cette phrase m’a fait aussi mal que la phrase prononcée par le vieillard Syméon quand nous sommes allés à Jérusalem 6 semaines après sa naissance . Lui il m’avait dit, après avoir loué notre Seigneur, de lui avoir révélé que ce bébé était destiné à être le Sauveur d’Israël, le Messie, le Roi, « et toi une épée te transpercera le cœur ». Dire cela à une jeune maman si fière de son bébé. Comment pouvait-il dire une chose semblable ?

Et pourtant lorsque nous sommes montés en pèlerinage à Jérusalem avec notre fils, pour la première fois de sa vie à lui, c’est bien ce que j’ai vécu quand je me suis rendue compte qu’il n’était pas avec notre famille qui regagnait Nazareth. Pourtant ma joie, quand nous l’avons enfin retrouvé (je pourrais presque dire ma fierté, car il était assis avec les docteurs de la Loi et eux l’écoutaient, lui mon garçon de 13ans) a été comme ternie par la phrase qu’il a prononcée. Il m’a demandé si j’avais oublié qu’Il se devait aux affaires de son père. Bien sûr que je le savais, mais au fond de moi, j’espérai que cela viendrait plus tard.

Pour en revenir à Cana, même s’il m’avait fait comprendre que je n’avais pas à intervenir, je n’ai pu m’empêcher de dire aux serviteurs de faire ce qu’il leur commanderait, si toute fois il le voulait. Moi je ne suis pas restée, mais je sais par des amis qu’il y a du vin jusqu’à la fin de la noce et que ce vin était bon.

Au début, il a fait beaucoup de guérisons, beaucoup de miracles. Je crois que cela devait permettre que les gens reconnaissent que Le Seigneur est présent dans son peuple, qu’Il agit, qu’Il répond à ses demandes, et que mon fils est comme le signe de sa présence sur cette terre.

Il a choisi de vivre à Capharnaüm, chez Simon, un de ces pêcheurs qui l’ont suivi dès le début et qui espèrent qu’il va rétablir la royauté en Israël, mettre les Romains dehors. Mais ils n’ont pas compris que l’ennemi ce n’est pas Rome, mais le mal qui est dans le cœur de l’homme et que le mal ne peut être vaincu que par l’amour. Et de l’amour, lui il en est rempli et c’est ce qui fait sa force et aussi sa faiblesse, car il restaure ce qui est abîmé dans l’homme et du coup il semble ne pas respecter la loi en se commettant avec des pécheurs, des publicains, des femmes de mauvaise vie, des lépreux (et j’en passe). Le fait qu’il se soit arrogé le droit de pardonner les péchés, ce que Dieu seul est capable de faire, de ne pas lapider une femme qui avait commis l’adultère, tout cela fait que lui n’est pas aimé par les notables.

Quand il est venu chez nous à Nazareth, les choses ne se sont pas bien passées. J’ai l’impression qu’Il voulait leur faire comprendre quelque chose, mais qu’ils n’ont pas pu entendre ce qu’Il disait. Ce qui est sûr c’est qu’ils ont voulu lui faire du mal, comme pour le punir soit de ne pas avoir fait de guérisons, et de leur avoir rappelé que sa mission doit le conduire à sortir des limites de notre pays pour annoncer au monde qu’il n’ y a qu’un seul Dieu, le notre et ce Dieu qui se manifeste aujourd’hui par Lui et en Lui, désire que les hommes soient des vivants.

Comme chaque année au moment de la Pâques, j’ai commencé à préparer cette fête. Avec mes amis, nous avons nettoyé la maison de fond en comble. Un agneau sans tache était là, prêt à être immolé. Nous avions fait cuire le pain. Il est vrai que comme tous les ans, j’attendais un signe de mon fils pour célébrer cette fête avec lui, mais comme d’habitude, il était avec ses disciples.

J’ai su que quelques jours avant, il avait fait une sorte d’entrée triomphante à Jérusalem, mais j’ai bien peur que cela soit mal interprété par les notables. Le peuple l’aime, a confiance en lui, l’écoute, car il parle bien et qu’il annonce que l’amour est ce qu’il y a de plus important. C’est autrement plus important que de respecter la Loi au pied de la lettre, mais il se fait bien des ennemis.

Peut-être qu’un jour il sera reconnu comme le Messie, mais plus le temps passe et plus ses démêles avec les prêtres, avec les pharisiens, avec les scribes s’intensifient ; parfois j’ai l’impression qu’il les cherche, qu’il voudrait leur faire comprendre quelque chose, et qu’ils sont comme sourds, comme aveugles. Et j’ai peur que cela ne se termine mal, qu’il soit lapidé. Je crois que lui dit qu’il va être crucifié mais je ne vois pas comment cela serait possible. Pourtant s’il dit être le roi des juifs, alors là il va à l’encontre de César et là, j’ai peur. Mais que peut faire un charpentier contre cet empereur ?


Et ce matin alors que la nuit n’était finie, Jean, un de ses amis est venu toquer à notre porte.Il m’a dit de me dépêcher car mon fils avait été arrêté pendant la nuit et Pilate était en train de décider de son sort. Pilate est cruel, comme les Romains, la vie ne compte pas pour lui, du moins la vie des autres, alors la peur a commencé à m’étreindre. Et la peur ne m’a plus quittée, sans parler de mon angoisse.

Quand nous sommes arrivés il y avait une grande foule, comme si tout avait été préparé à l’avance.
Il était dans un état épouvantable, plein de sang, exsangue. Il avait été battu, il portait une couronne d’épines. Je me demande d’ailleurs où les soldats ont pu trouver des épines dans une caserne. Pilate a donné le choix au peuple: le libérer lui Jésus, « Dieu qui sauve»ou de libérer Bar Abbas. Mais le Fils du père, c’est Lui, pas ce criminel de droit commun. Et le peuple a réclamé sa mort à lui.

Pour moi, le temps s’est arrêté. On l’a conduit en lui faisant porter le montant de la croix au Golgotha, c’est là où ils exécutent les criminels , comme si mon fils avait fait du mal sur cette terre. J’étais comme insensibilisée, et pourtant j’étais là avec Jean. Il y avait des soldats, des femmes amies à lui et Lui.Les disciples eux, ils n’étaient pas là, ils n’étaient plus là.

Et la phrase de Syméon était là, encore plus brûlante que les autres fois, toutes ces fois où j’avais eu peur pour lui. Parce que là c’était fini. Lui celui que son cousin avait présenté comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », lui l’agneau sans tâches, il allait être immolé et il n’avait rien fait si ce n’est de donner de l’amour et encore de l’amour.

En fait nous étions seuls tous les deux, Lui sur sa croix avec son sang qui gouttait, avec les mouches que je ne pouvais chasser, avec le bruit, la poussière. Et je ne pouvais rien faire. Totalement impuissante. Il m’a regardée, il a regardé Jean et il a dit : « Femme voici ton fils », comme si Jean pouvait le remplacer, mais cela devait me permettre d’avoir un homme pour prendre soin de moi, car veuve et mère d’un condamné, ma vie allait être difficile. A lui, il a dit : « Voici ta mère ». Je ne sais pas ce qu’il en a pensé. Sauf que ça faisait de moi la mère d’un disciple, peut-être de tous les disciples.

Le temps s’égouttait, comme son sang, une goutte après l’autre, une minute après l’autre. Il a eu soif. Il a refusé le vin aigre qu’on approchait de ses lèvres. Il a poussé un cri, un soupir et c’était fini. Pour moi aussi c’était fini.

Alors nous sommes partis.

Je ne sais ce qui va advenir maintenant. Il a dit plus d’une fois qu’il devait finir comme cela pour ressusciter trois jours après. Redevenir vivant, devenir le Vivant, manifester la puissance de Dieu.
Mais là, je ne sais pas, je ne sais plus. J’attends juste que son corps me soit rendu, qu’Il me soit rendu.Seulement avec le Shabbat de la Pâques, il va me falloir attendre…

« Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon sa parole ».

samedi, mars 17, 2007

Péché1: Introduction

Catherine Lestang


Péché 1

Faiblesse, blessure, péché.


La guérison des « blessures » est à la mode en ce moment dans un certain nombre de communautés chrétiennes. En tant que psy, je suis souvent très mal à l’aise car il y a des confusions de vocabulaire qui me gênent. Le vocabulaire de la psychanalyse ne peut être transféré tel quel au vocabulaire théologique et réciproquement!Qu'il y ait un lien entre blessure, péché guérison certainement, mais pas de manière simpliste et culpabilisante. En fait ce qui suit est une manière de refuser une certaine culpabilisation. Pas capable étant différent de coupable.

Ce qui suit est une réflexion, un peu au fil de la plume, comme je l’aime sur les relations entre faiblesse et péché, et péché et blessure.

Pour des raisons de commodités, je scinderai ce texte en plusieurs parties, car lire un blog trop long est décourageant.

Ceci est donc une sorte d’introduction générale à cette réflexion sous tendue par une question de base et que souvent j’ai envie d’adresser à Dieu quand on parle de sa colère, (et de sa miséricorde) à savoir: «Dis pourquoi t’es fâché?».

Quand avant chaque eucharistie, il m’est demandé de me reconnaître pécheur, il y a en moi quelque chose qui proteste. Je ne refuse pas l’étiquette car je sais très bien, comme le dit Paul en comparant Adam (tiré de la terre) et Jésus (spirituel) que je suis tirée de l’humus. Ce que je refuse c’est la culpabilisation systématique de mes comportements. Car beaucoup d’entre eux sont liés à ma fragilité, à mon héritage génétique, à mon éducation, aux évènements qui m’ont façonnée. Que je désire en changer, certainement parce que en dernier ressort, c’est à moi qu’ils font du mal en ne me permettant pas de m’humaniser pleinement, d’être en relation « positive » avec moi-même et ceux qui m’entourent que je dépende ou non d’eux.

Par ailleurs, étant un être humain « normal » j’ai acquis ce qui s’appelle « la permanence de l’objet », alors ce n’est pas parce que je ne « pense pas à Dieu ou à Jésus « en faisant les actes de la vie ordinaire, que je me détourne de Lui. Cela ne le rend pas non existant. Il est en moi, permanent, je ne le fais mourir si je ne pense pas à lui. Ma foi d’aujourd’hui me permet de croire, c’est que Lui est en moi, et me fait vivre. Alors là aussi je refuse de me culpabiliser si le divin n’est pas en permanence au centre de mon conscient, puisque l’important c’est cette permanence d’existence en moi. Être pécheur, ce n’est pas cela.

D’ailleurs quoique l’on puisse dire et écrire sur le manque à l’heure actuelle (source des blessures, source du péché) le manque lié au besoin est aussi et surtout source du désir et c’est bien ce qui fait sa valeur. On sait qu’il est nécessaire de ne pas combler tous les besoins du bébé pour que celui-ci puisse développer toutes ses facultés !

Récemment je me suis demandée si cette reconnaissance « être un pécheur avec d’autres pécheurs » au début d’une assemblée, ne permet aussi de se constituer en groupe, en famille un peu comme chez les A.A. où chacun se présente comme ayant ce problème. Cette reconnaissance étant de fait le premier pas vers la guérison. Cela, je peux tout à fait l’entendre, mais encore faut-il peut-être s’entendre par ce que l’on met derrière ce mot. Il me semble que jamais on ne trouve dans l’évangile de phrases de culpabilisation. Car Jésus sait de quoi l’homme est fait : il sait que poussière nous sommes, mais il sait aussi que nous sommes faits pour l’éternité. Récemment un prêtre disait que dans des versions primitives de l’Evangile, le mot de Sauveur était remplacé par celui de Vivificateur, celui qui donne la vie et le message de l’Evangile c’est bien là qu’il se situe: devenir vivant, même s’il faut passer la mort de la croix.

Pour en revenir au début de cette réflexion, je pense bien souvent qu’il y a confusion entre fragilité et péché. La fragilité est un fait, le péché est volonté de se détourner, ce qui est bien différent. Cette confusion est sous-tendue par un postulat : tout se passe comme si l’homme a été crée capable de ne pas pêcher. Il se serait abîmé en succombant à tentation d’être comme un dieu, c’est-à-dire de connaître le bon et le mauvais. Être dieu à la place de dieu, cela se retrouve dans beaucoup de mythologies et explique la condition humaine vécue comme une punition d’avoir voulu prendre quelque chose qui ne devait pas lui appartenir à l’être humain que ce soit l’ambroisie, c’est-à-dire la fin de la mort, ou le feu, qui permet aussi se survivre, de ne pas s’éteindre, et de créer des armes et des instruments. Le « devenir » dieu provoque la séparation, la mise à l’écart, la vie et la mort.

Ne dit-on pas dans un des canons de la messe: « Comme il s’était séparé de toi Tu n’as cessé de multiplier les alliances avec lui, pour qu’il Te cherche et puisse Te trouver ». La séparation ici est quelque chose d’actif, alors que ce n’est pas certain. Choisir n’est pas toujours simple et encore faut-il pouvoir choisir.

Dans le vocabulaire religieux, elle est par la faute ou le péché (l’envie ou la jalousie) sous-tendue par la représentation d’un homme originel ou originaire, presque l’égal de Dieu: « A peine le fis-tu moindre qu'un dieu; tu le couronnes de gloire et de beauté »Ps 8,6. Il y a un midrasch qui décrit l’Adam d’avant la chute comme un être magnifique, resplendissant, grand, et qui se rabougrit littéralement après pour devenir l’humain que nous sommes. Simplement je crois pour ma part que « l’ouverture » des yeux est quelque chose de fondamental pour l’être humain et que ce « goûter » comme toute action a du négatif et du positif.

Or ce postulat, est bien pratique, car il est crée d’une certaine manière la culpabilité. L’homme étant libre, pouvait choisir. S’il a fait un mauvais choix, c’est en toute connaissance de cause (ce qui serait à prouver) donc il est coupable, mauvais, indigne (et j’en passe). Mais un tel homme a-t-il jamais existé ? n’est-il pas un homme « mythique » ?

Le mythe est un système qui nous permet de comprendre pourquoi notre vie est ce qu’elle est, et c’est une croyance partagée par tout un groupe humain, qui le crée d’ailleurs en tant que groupe. La Genèse, du moins les chapitres de 1 à 11, a cette dimension. Elle répond à bien des questions que pouvaient se poser les exilés de Babylone et que nous nous posons tous. Il donne du sens : la séparation d’avec le Divin conduit au malheur. Si je choisis Dieu, alors je choisis le bonheur (c’est bien la thématique qui court dans le deutéronome).

Mais cette représentation d’un homme « parfait, presque tout puissant » est-elle cohérente avec ce que nous savons de l’évolution de l’homme sur cette planète ? La réponse est non. Pourtant, elle est cohérente avec ce que nous savons aujourd’hui du développement psychique du petit d’homme. Elle renvoie à ce vécu de toute puissance que nous avons tous expérimentée et que nous avons perdue ou cru perdre par notre faute (attaque fantasmée de la mauvaise mère qui est en nous).

Or si la perte « normale » de la toute puissance infantile au cours de la première année de la vie, permet la mise en place de la culpabilité, elle est aussi à l’origine de la symbolisation, de la réparation, donc de la création. C’est dire qu’elle est un passage obligatoire, positif, du moins en théorie.

Je pense que ce mythe d’un homme « parfait » tout puissant, immortel, repose sur une réalité psychique que nous partageons tous. Mais que ce mythe permet aussi de comprendre parce que nous y avons en principe renoncé, (ce que Dolto appelle les castrations symboliques), c’est que nous ne sommes pas tout puissants, et que notre non puissance (à défaut d’impuissance, car toutes nos découvertes sont là pour pallier), n’est pas péché, même s’il est fondamental à la fois de connaître ses limites, mais de ne pas s’y complaire.

Outre la confusion entre péché et faiblesse et faudrait aussi se pencher sur la relation entre péché et blessure. « Je suis venu pour sauver les bien portants mais les malades »Lc 5,31, or le péché, notre difficulté à aimer, et notre propension à vouloir nous sentir existant au détriment de l’Autre, est bien souvent conséquence des blessures que nous avons subies et que nous perpétuons souvent à notre insu.Alors peut-être qu’il ne faut pas tout mélanger.

L’épître aux hébreux est très centrée sur la réconciliation. Elle insiste sur le fait que cette réconciliation a été faite une fois pour toute, qu’il n’y avait donc plus besoin de sacrifice d’expiation, mais de sacrifice de louange, envers ce Dieu qui nous permet d’entrer dans Sa vie dès aujourd’hui.Alors pourquoi ne pas essayer de sortir de ces images de colère, de destruction liées à des représentations archaïques d’un certain dieu pour sortir d’un bon nombre de confusions qui nous entraînent dans la mort.