dimanche, octobre 01, 2017

" Il mérite que tu lui accordes cela." Luc 7, 4


Luc 7, 4 "Arrivés près de Jésus, ceux-ci le suppliaient instamment : " Il mérite que tu lui accordes cela. 5 Il aime notre nation : c’est lui qui nous a construit la synagogue".

En lisant et en relisant ce texte (Luc 7, 1-11), il s'est fait en moi, comme souvent, un travail en deux temps, mais pour une fois, je les livre à l'envers. 

Le premier temps s'est fait sur le texte lui-même et sur ce mot de mérite. Mériter, être récompensé, avec tout d'abord l'envie de de remplacer "je ne suis pas digne" par "je ne mérite pas", comme pour symétriser. 
Puis est venue une réflexion sur ces deux thématiques, mériter et ne pas être digne; et enfin à me dire que si certes il peut y avoir le coté "oriental" du "après vous, je n'en ferai rien", il y a surtout la reconnaissance, par un homme de pouvoir, (qui somme toute aurait pu forcer Jésus à venir chez lui), de la force qui habite Jésus, force telle qu'il suffit qu'il parle pour que sa parole soit suivie d'effet. Et cela envoie à phrase d'Isaïe (Is 55,11): "Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission". Ce qui montre bien que le Centurion avait reconnu la divinité de Jésus... Et enfin une reprise du texte.

Mérite....

Pour en revenir à cette notion de mérite, que de fois entendons-nous dire, quand quelqu'un tombe gravement malade ou a des ennuis: "Le pauvre, lui qui est si gentil, il n'a pas mérité cela". Il y a donc en nous un lien entre "faire de bonnes choses" et en être récompensé. Quand j'allais à l'école, petite, chez "Les Dames de St Maur", le samedi, si on avait bien travaillé pendant la semaine, on nous donnait une croix, la croix du mérite. En fait il y avait même deux croix: une avec de l'émail bleue, qui récompensait un bon travail, et une avec de l'émail blanc qui récompensait un excellent travail. Et chercher à obtenir la croix blanche, c'était finalement un moyen de "motiver", comme on dirait maintenant, à se donner au travail pour avoir de bonnes notes. Et donc on pouvait se pavaner avec sa belle croix et susciter l'admiration des autres. Mais quand même, pour l'obtenir cette croix, il fallait y avoir mis du sien, avoir travaillé. Donc il y avait bien du mérite.

Car pour en revenir à ce mot, il y a aussi le fait que Paul passe son temps à nous dire que le Salut donné par Jésus n'est pas lié à notre mérite (les œuvres), mais à la bonne Grâce du Dieu qui a créé la terre, le ciel et l'homme et qui est même à l'origine du don de la Foi. En cela je suis (presque) d'accord, mais il est quand même question du mérite des saints (même si c'est Dieu qui donne la force), et la phrase prononcée par le prêtre au moment de l'absolution, phrase que je cite en entier parce que je l'aime beaucoup, parle bien de mérites…: "Puissent la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, les mérites de la Bienheureuse Vierge Marie et de tous les Saints, quelque bien que vous ayez fait et quelque mal que vous ayez souffert, vous valoir le pardon de vos péchés, accroître en vous la grâce et vous obtenir la vie éternelle. Ainsi soit-il." 

Peut-être faut-il dissocier entre ce qu'il en est du mérite "religieux" - à savoir que nous ne pouvons pas "nous sauver" à la force de nos poignets, que nos poignets sont faibles et qu'ils ont besoin d'être maintenus - et du travail que chacun de nous a à faire, en fonction de ses capacités et de ses désirs, pour aller là où il est appelé à aller.

Alors peut-être que parfois, malgré tout, avec l'aide de l'Esprit, parce que tout seul ce n'est pas facile, on arrive non pas à mériter tel ou tel bienfait, mais à poser des actes qui sont un peu méritants; ce qui somme tout n'est pas si mal pour l'égo, quoiqu'on en dise.

Le texte

Maintenant, je voudrai revenir au texte, parce que ce centurion, que Jésus ne rencontre pas, évoque pour moi, le centurion que Pierre rencontrera plus tard, un peu à son corps défendant, et aussi cet autre centurion dont on ne sait rien (Mc 15,39), qui se trouve être de service le jour où trois hommes sont condamnés au supplice de la croix, et qui dira en parlant de l'un d'entre eux: "Celui-là était fils de Dieu" (s'est conduit comme l'empereur lui-même) donc est divin.

Certes ce centurion qui réside à Capharnaüm, qui devait être dans le pays depuis de longues années, et qui avait fait construire une synagogue, aurait bien mérité de voir ce Jésus dont il avait entendu parler, "à l'œuvre": poser sa main sur son esclave, prononcer des paroles, mais il ne l'a pas fait.

J'imagine que son souci concernant son esclave, son amour pour cet homme qui aurait pu être assimilé à une tête de bétail, a ému Jésus, l'a mis en route, et l'a fait partir vers la maison de cet homme sans se soucier d'une possible transgression. Car même si ce centurion apprécie le judaïsme, il fait quand même partie des troupes d'occupation (très mal vues par les zélotes); et même s'il a découvert la richesse de la religion du pays occupé, il reste quand même un païen, quelqu'un que les juifs ne doivent pas fréquenter.

Si on met en parallèle ce texte (Luc 7, 1-10) avec celui des Actes des Apôtres (Actes 10) qui relate la venue de l'Esprit Saint sur la famille du Centurion Corneille, on se rend compte à quel point Pierre, qui a quand même vécu avec Jésus pendant des années, rechigne pour entrer dans la maison d'un centurion qu'il considère comme impur. Certes le mérite (que Pierre ne peut pas évaluer) de cet homme, est autre que la construction d'une synagogue, puisque qu'il s'agit de prier sans se lasser pour recevoir la lumière du Dieu d'Israël; mais pour Pierre seul compte ce qui se voit: cet homme est un païen, et malgré la vision qu'il a eue, ce n'est pas si facile pour lui.

Jésus suit la première délégation sans se faire prier. Lui, Jésus, n'a jamais craint de toucher un lépreux, parce qu'il sait que l'impureté n'a aucun pouvoir sur lui; il ne craint pas de se salir les mains, et part sans hésiter. Mais la délicatesse du centurion qui veut lui épargner une impureté qui pourrait lui être préjudiciable ("ne mange-t-il pas avec les publicains et les pécheurs?") nous conduit à la seconde partie du récit. Et là quand on réfléchit, c'est très beau. Cet homme, qui pourrait forcer Jésus à venir chez lui, renonce à son pouvoir et se centre uniquement sur ce qu'il imagine des juifs, à savoir qu'entrer dans la maison d'un païen risque de les rendre impurs.

Mais surtout, lui a compris que Jésus, en chassant des esprits impurs, a un pouvoir sur le monde invisible, et que sa parole, parole d'autorité comme la sienne, est une parole active et agissante. C'est pour cela qu'il envoie un deuxième groupe d’amis qui sont en quelque sorte ses porte-paroles et qui rapportent cette phrase que nous connaissons par cœur: "Je ne suis pas digne que tu viennes dans maison, mais dis une parole (là où tu es) et cette parole (sera efficace) et mon serviteur sera sauvé".

En pensant à cette phrase, telle quelle, je crois que j’aurais bien aimé qu'il dise, en symétrie des notables du début : "Je ne mérite pas que tu viennes dans ma maison, mais prononce une parole de guérison et mon serviteur sera guéri,". Mais, à la réflexion, le "Je ne suis pas digne" est beaucoup plus fort; lui, le chef, se sent indigne d'accueillir chez lui celui qui a le pouvoir du verbe, qui est comme le dira un autre centurion "Fils de Dieu" (Mc 15,39), Donc le centurion, qui est bien en dessous de l'empereur, ne se sent pas digne d'accueillir chez lui un tel personnage. Il y a donc la reconnaissance de qui est Jésus, reconnaissance dont les apôtres sont bien incapables à ce moment là. En quelque sorte ce "païen" est bien plus conscient que les disciples de la divinité intrinsèque de Jésus.

Alors la louange que Jésus exprime envers cet homme, "09 Entendant cela, Jésus fut en admiration devant lui. Il se retourna et dit à la foule qui le suivait "Je vous le déclare, même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi !", est plus que compréhensible. Peut-être, que dans la perspective lucanienne, elle annonce ce que sera le ministère de Paul: annoncer aux païens la "Bonne Nouvelle" et l'universalité du salut.

Et moi...

Alors, quand nous prononçons cette phrase rituelle Je ne suis pas digne te recevoir dans mon dedans, mais dis une parole et "mon je" sera guéri, d'une certaine manière, je suis dérangée par cette phrase, parce qu'il y a une différence entre ce qui est dit par le centurion qui demande une guérison pour son serviteur, et ce que nous disons nous.

Si je suis invitée à partager un repas, si on me dit que je fais partie de ceux qui sont choisis, ceux qui sont invités, spontanément je ne vais pas me récuser en disant que je non, il vaut mieux que je revienne une autre fois, parce que je ne suis pas assez bien, pas assez pure…

Mon autre problème avec la phrase: "mais dis seulement une parole et je serai guéri(e)", c'est que j'ai connu une jeune fille qui par suite d'une naissance prématurée avait une main atrophiée, qu'elle cachait et qu'elle disait être "toute pourrite"; alors souvent je pense "et je serai toute guérite" ce qui me donne un peu envie de rire alors que je devrais être très sérieuse et toute remplie de mon indignité.. Sauf que du coup, ça ne marche pas.

Et puis, dans l'évangile de Luc, Jésus ne prononce pas de parole de guérison; il se retourne vers la foule, mais personne ne sait quelle phrase il a prononcé. Alors parfois je me demande quelle phrase Jésus aurait dit pour moi, mais je pense que lorsque je vais recevoir le corps et le sang, je m'approche bien plus pour me laisser remplir par sa présence: en ayant la certitude que Lui sait ce dont j'ai besoin et qu'il comblera mon désir, à sa manière, qui ne sera peut-être pas du tout ma manière à moi et que petit à petit sera guéri ce qui doit être guéri..

Alors certes, pas plus que le centurion, je ne mérite de recevoir celui qui est le Fils, mais je crois que ce contact avec celui qui se donne dans du pain et dans du vin, même si le récipient que je suis est loin d'être pur et propre, va petit à petit changer mon cœur d'humain en un cœur qui voit, et en un cœur qui écoute, et que c'est certainement cela mon désir. Et si Jésus a répondu au désir du Centurion, je crois qu'Il répond à mon désir, même s'il est balbutiant..



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