mercredi, février 28, 2018

La finale de l'évangile de Jean: Jn 21, 15-25

Jn 21: "Suis moi".

Si le début du chapitre 21 de l'évangile de Jean m'est familier et ne me pose pas trop de questions, par contre ce qui se passe après le "repas au bord du lac" est beaucoup plus compliqué. J'essayais de laisser les versets 15-20 me dire quelque chose, mais ça ne me disait rien, ou si peu. 

Bien entendu le triple questionnement de Jésus peut faire référence au triple reniement, mais cette lecture me semble trop banale ou trop banalisée. Pourquoi Jésus, après un bon repas bien sympathique, où c'est lui qui a fait la cuisine, se met à cuisiner ainsi Pierre, et le nomme Simon, fils de Jean, alors que l'Esprit Saint, reçu (Jn 20,22) en l'absence de Thomas, qui lui est présent ce jour là, a quand même fait de Pierre le fils du Père, le frère de Jésus.

Pourquoi "les agneaux"? Pourquoi "les brebis"? Je reviendrai plus tard là-dessus.

Et puis la première question: "Est-ce que tu m'aimes plus que ceux-ci?" est ambigüe:
  - Est-ce que tu m'aimes plus que ces hommes qui sont aujourd'hui avec toi?
  - Ou bien: Est-ce que ton amour pour moi est plus fort, plus intense, que le leur pour moi? 
Ce qui me semble possible, et c'est ce que veut montrer la suite de ce texte, c'est que Jean, le disciple que Jésus aimait, lui, est bien certain que personne ne peut aimer Jésus plus que lui, Jean. Lui, il n'aurait pas renié Jésus, ce qui permet peut-être de comprendre un peu mieux pourquoi l'auteur de cet évangile utilise ce triple questionnement qui s'oppose au triple reniement.

Mais surtout, si on essaie de se représenter visuellement la finale - versets 18 à 24, ce n'est pas évident du tout.

Jésus commence par parler à Pierre de son passé - "Quand tu étais jeune" -, puis de son futur - "Un autre te mettra ta ceinture et te conduira là où tu ne ne voulais pas aller"- ce qui permet à l'auteur de parler de la mort de Pierre sur la croix. Puis on revient dans le présent avec un appel: "Suis-moi!". Suivre, oui, mais suivre où, ou suivre comment? Le "comment" est de fait indiqué par la "prophétie" précédente: suivre jusqu'à mourir comme moi. Mais là, il semble qu'on soit presque dans le "où".

Or, si on se réfère aux synoptiques, lors de la pêche miraculeuse, les quatre, Pierre, André, Jacques et Jean de Zébédée, quittent tout et suivent Jésus; mais ils le font de leur propre chef. Bien-sûr c'est un peu jouer sur les mots, mais ce qui se passe pour eux est différent de ce qui arrive à Lévi, qui lui entend aussi le "Suis moi", qui se lève et change sa vision du monde.

Si on lit le texte de cette finale, il semble bien que Pierre se met à suivre Jésus, qu'il marche avec lui, (mais Jésus n'a plus de lieu sur la terre), certainement à la fois pour écouter ce que son Maître va confier à celui qui est choisi comme le pasteur à sa place à lui (Jn 10) et cela se comprend.

Mais, entendant des pas derrière lui, il se retourne (ce qui évoque un peu le retournement de Marie-Madeleine au tombeau, ou les disciples de Jean le Baptiste qui suivent Jésus à distance et qui à la question de Jésus posent la question de savoir où ce dernier demeure), et voit alors Jean le disciple que Jésus aimait et qui semble suivre à distance.

Et là, on a un dialogue qui est un peu fou. Pierre demande ce qui va advenir pour celui-ci, et Jésus le rabroue en lui disant "si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe. Toi suis-moi".

On sait l'importance du verbe demeurer dans l'Evangile de Jean. Demeurer, être la demeure. Mais on a là deux rôles différents, Pierre non seulement n'a pas à recevoir d'explications, mais lui, ce qui lui dit c'est bien de "suivre" et rien d'autre.

En laissant travailler en moi cette finale de l'évangile de Jean (enfin la deuxième finale), je me suis dit que peut-être si on se centre uniquement sur la relation de ces deux hommes, Pierre et le disciple que Jésus aimait, et si on regarde leurs comportements dans la deuxième partie de l'évangile, alors quelque chose apparaît. Pierre c'est l'ombre, Jean c'est la lumière, et pourtant c'est Pierre qui est choisi. Il semble bien qu'il y a une sorte d'antinomie entre ces deux personnages.

  - Lors du repas avec le lavement des pieds, Jean est celui qui est tout proche de Jésus, qui demeure à côté de lui, contre lui. Pierre, est celui qui ne comprend rien à la symbolique du lavement des pieds.

  - Lors de l'arrestation, Pierre c'est un peu le balourd qui tranche l'oreille du serviteur du grand-prêtre, le disciple que Jésus aimait, lui s'arrange pour suivre son Maître et faire entrer Pierre (en douce).

  - Puis, c'est Pierre qui va trahir, alors que le disciple lui, souffre certainement de ce que son maître est en train de vivre.

  - Au pied de la croix, il n'y a personne, sauf Marie et Jean, et c'est lui qui reçoit la mère de Jésus comme sa mère, et qui va prendre soin d'elle. A priori cela aurait pu être le rôle de Pierre, le "Chef", s'occuper de la mère de son maître.

  - Le matin de la résurrection, c'est Jean qui certes respecte la préséance en laissant Pierre entrer le premier au tombeau, mais c'est lui, Jean, qui "croit", alors que Pierre semble perplexe.

  - C'est lui qui le reconnaît ce matin là, juste après cette pêche étonnante… Mais c'est Pierre l'impulsif qui quitte la barque pour aller à la rencontre de celui qui l'attend.

Alors il semble bien que ce disciple-là avait tout pour devenir le Pasteur. Seulement, malgré la relation privilégiée qu'il dit avoir avec Jésus, parce que être le disciple que Jésus aimait, cela renvoie à une relation d'amour, il n'a pas été choisi pour être le pasteur, même s'il sera pasteur, comme nous le savons par les lettres et par l'Apocalypse, mais à sa manière.

Je peux imaginer que quand Jésus demande par trois fois à Simon fils de Jean, s'il est aimé de lui, Jean devait bouillir en lui-même, il devait avoir envie de hurler: moi je t'aime, moi je t'aime plus que ma vie. Et pendant ce temps là, Pierre certes affirmait bien à Jésus son amour, mais pas d'une manière passionnée. Les mots de Pierre, Seigneur tu sais tout, tu sais bien que je t'aime, avec tout ce qu'il y a de mauvais en moi, de lourd, de pesant, ces mots là ce sont les nôtres.

Alors peut-être que l'on peut dire que cette deuxième conclusion de cet évangile insiste sur le rôle de ce disciple que Jésus aimait, de celui qui est appelé à demeurer jusqu'au retour de Jésus et qui a choisi de raconter comment cet homme, Jésus, qui était le Verbe de Dieu, la Lumière qui éclaire le monde, a changé sa vie et celle de tous ceux qui croient en lui.

Jésus donne à chacun sa tâche; c'est lui qui sait (le "que t'importe" dit à Pierre est très fort), et c'est aujourd'hui à chacun d'entendre la place que Jésus veut pour nous.

Pour en revenir aux agneaux et aux brebis, je vais commencer par les brebis. Il y a la référence à Jn 10, qui permet de penser qu'il y a en premier les brebis qui connaissent la voix, et qui sont les brebis qui connaissent la Loi et qui attendent le sauveur, et en second les brebis qui ne sont pas de la bergerie et pour lesquelles il y a aussi une place, ces brebis pour lesquelles Paul sera peut-être plus l'apôtre. Dans le premier troupeau, il y a celles qui sont perdues, celles qui sont égarées, celles qui sont malades et celles qui vont bien mais qui ne doivent pas écraser les autres, ce qui accomplit la prophétie d'Ezéchiel 34. Quand aux agneaux, je pense qu'il s'agit de tous ceux qui, comme l'agneau pascal, donneront leur vie pour que le message de Salut soit entendu sur toute la terre; et Pierre fait partie aussi de ceux là.


Le fait d'avoir pu, en quelque sorte curieusement, percevoir cette rivalité entre Pierre et le disciple que le Seigneur aimait, m'a permis de comprendre en profondeur que Jésus choisit comme il veut et pour qui il veut ce qui permet l'annonce du Salut. A nous d'écouter, avec l'aide de l'Esprit, cette voix du Seigneur.

lundi, février 26, 2018

Ex 12,25: " Du pétrin à la croix"

En lisant le récit de la sortie des Hébreux du pays d'Egypte, en pleine nuit, après que l'Ange du Seigneur ait tué tous les premiers-nés au pays d'Egypte, j'ai trouvé très étonnante la phrase suivante: "Le peuple emporta la pâte avant qu'elle n'ait levé: ils enveloppèrent les pétrins (ou les huches) dans leurs manteaux (certainement pour garder au chaud, puisque le pain a besoin de chaleur pour lever), et les mirent sur leur dos"

Je ne reviens pas sur la logique du texte, parce que si le peuple a mangé l'agneau, ils ont bien dû manger aussi du pain (galette).

Mais il me semble que lorsqu'on doit prendre un long chemin, qui est malgré tout un chemin d'exil puisque les Egyptiens "chassent" les Hébreux, il est bon de prendre des provisions pour la route, donc du pain, même s'il est encore à l'état de pâte, et de l'argent (les bijoux donnés par les voisins), parce que ça permet éventuellement de pouvoir acheter de quoi manger (mais pas de fabriquer un veau!). Quant à la cuisson de cette pâte, à cette époque là, si j'en crois différents articles, elle peut se faire sous la cendre (il faut faire un feu sur du sable, et dans le désert ça ne manque pas) ou sur des pierres elles-mêmes chauffées.

Mais ce qui est dit, c'est que la pâte n'avait pas eu le temps de lever, ce qui laisserait à penser que c'était quand-même une pâte avec quelque chose (il est dit que l'eau du Nil avec ses alluvions joue un peu le rôle de levain ) qui devait lui permettre de monter au moins un peu, ne pas être dure comme du bois.

On peut donc penser à un mélange de farine, de sel et d'eau, mise dans un récipient en bois, et que l'on laissait reposer un certain temps avant de la faire cuire. Et je peux imaginer que marcher avec cela sur son dos, cela ne soit pas être facile. Cela pèse son poids, cela empêche de courir, et si en plus on doit l'entourer avec son manteau, on doit avoir froid, mais que ne ferait on pas pour avoir un minimum de provisions quand on prend une route qui est quand même une route d'exil?

Et en pensant à ce poids qui pèse sur sur le dos, il m'est venu à la fois une phrase d'un psaume: "J'ai enlevé le poids qui pesait sur tes épaules" (Ps 81,6) - mais là il s'agit du poids de la servitude, parce que c'est ce que vit quand même le peuple, et remplacer l'esclavage par la liberté, cela n'a pas de prix; mais surtout j'ai pensé à un autre objet en bois, qui pèse aussi son poids: la croix. 

La croix, c'est elle dont nous devons nous charger si nous voulons être disciples: "Si quelqu'un veut être mon disciple qu'il renonce à lui-même (ce qui entre parenthèse revient à s'alléger de soi et donc enlever un poids), qu'il se charge de sa croix (ou qu'il prenne sa croix) - et donc là il y a bien quelque chose à mettre sur son dos, et qu'il me suive (Luc 9,23).

Cette croix, c'est Jésus qui l'a portée en premier sur le chemin qui allait du palais de Pilate au Golgotha. Croix qui nous libère de la servitude du péché, mais surtout croix qui nous donne chaque jour le pain de la vie. C'est sur la croix que, si je peux me permettre, le pain confectionné pour la Pâque, avec de la farine, de l'eau et du sel, prend chair, devient chair, et devient pour nous pain qui est nourriture et qui nous délivre du poids de la mort.

Alors je ne sais pas si cette image du peuple qui marche avec son pétrin ou sa huche sur son dos est réellement une image de Jésus qui marche avec cette croix et qui fait de lui le pain de la vie, mais aujourd'hui, pour moi, cette représentation est importante, car elle est nourriture pour mon cœur.


mardi, février 20, 2018

"Aujourd'hui, avec moi tu seras dans le Paradis", Lc 23, 43.

"Aujourd'hui, avec moi tu seras dans le Paradis", Lc 23, 43.

Quand Jésus est crucifié, il est entre deux condamnés, il est "au milieu", comme autrefois la femme adultère que l'on avait poussée au milieu. Ce qui était en filigrane en Jn 8 est maintenant réalisé. Il est attaché à l'arbre de la mort. 

Il y a les soldats qui se moquent de lui, et donc ces deux hommes, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. 

L'un des deux en veut au monde entier; personne ne sait ce qu'il a fait, mais il ne faut parfois pas grand chose pour être condamné. Il déverse sa hargne sur Jésus, en fait je pense qu'il l'engueule.. "Si tu es celui que tu dis être, tu dois te sauver (de ce supplice et de la mort), et nous avec"; sinon tu es un moins que rien, un menteur; Jésus doit le sortir de là. Et comme Jésus ne fait rien, il est en colère. 

L'autre au contraire montre un grand respect envers Jésus. Il s'adresse d'abord à celui qui vient de parler, et reconnaît par là même qu'eux ont fait le mal, et que leur condamnation est juste, ce qui n'est pas le cas de Jésus. Puis il se tourne (enfin manière de parler) vers Jésus, et lui demande qu'il se souvienne de lui dans son Royaume.

Je pense que le mot Royaume est important, car il renvoie à ce qui est inscrit au dessus de la croix: "Jésus roi des Juifs". Implicitement il reconnaît en Jésus le roi. 

Les paraboles du royaume fourmillent dans les évangiles; mais là Jésus, qui aurait juste pu dire un simple oui, répond, non en termes de royaume, mais de paradis.

Le paradis, dans le livre de la Genèse, contient l'arbre de la vie: qui est au milieu du jardin, comme Jésus aujourd'hui est au milieu, entre ces deux hommes qui peuvent peut-être représenter l'humanité.

Or la porte du paradis a été "fermée" et un ange monte la garde, pour que l'homme ne puisse pas s'emparer des fruits de l'arbre de la vie, de cette vie éternelle que nous désirons tous, parce qu'elle renvoie à l'immortalité, et donc à la destruction de la mort, qui est notre lot. 

En parlant du Paradis, Jésus dit que la porte est à nouveau ouverte, que l'arbre de la vie est accessible, que l'arbre de la mort (la croix) maintenant donne la vie.

Et il n'est pas étonnant que le rideau du Temple se soit déchiré, car la porte est maintenant grande ouverte. La vie de Dieu est là. Ce que Jésus dit juste avant de partir, c'est que désormais la porte fermée est grande ouverte, que nous pouvons entrer dans la Joie et la Paix. Sa vie est la source de Vie.

samedi, février 17, 2018

"Le triple reniement de Pierre" Luc 22, 54-62

Le triple reniement de Pierre. Luc 22, 54-62

Quand on parle de Pierre et de ce qui s'est passé ce jour là ou cette nuit là, on a un peu tendance à lui jeter la pierre (pardon pour le jeu de mots), on parle de trahison, de reniement, mais qui sommes nous pour le juger.

Dans l'évangile de Luc, si on reprend le chapitre 22, celui de l'institution du mémorial, on voit que tout de suite après, les apôtres se chamaillent (une fois de plus) entre eux pour savoir qui est le plus grand. Et c'est juste après que Jésus s'adresse à Pierre et lui annonce que tous vont être tentés (Satan vous a réclamé pour pour vous passer au crible comme le blé, ce qui évoque un peu ce qui s'est passé avec Job dans la cour de Dieu Jb 1). Il leur annonce là qu'ils vont passer par une épreuve (tentation,) mais que lui a prié pour eux, pour que leur foi ne défaille pas, et qu'ensuite Pierre, puisque cela s'adresse à lui, puisse être à même d'affermir ses frères, ce qui est bien le rôle d'un chef et le confirme donc dans sa fonction.

Je pense que cela peut s'entendre comme la nécessité pour Pierre (celui qui se vante de pouvoir aller en prison et à la mort avec son maître) de faire une expérience plus que douloureuse mais formatrice qui lui permettra de devenir la Pierre sur laquelle Jésus pourra bâtir son église.

Par ailleurs, Pierre ne prend pas la fuite, et pourtant si c'est lui qui a coupé l'oreille du serviteur du grand-prêtre (Jn  18,10) si on le reconnaît comme l'auteur de ce coup, il va être en très mauvaise posture lui aussi, il lui a quand même fallu un certain courage pour suivre Jésus. Il est là auprès du feu, il attend, il veut savoir..

Que les choses se gâtent oui. Que par trois fois il affirme ne pas connaître cet homme qui est lié, maltraité à quelques pas de lui, oui, cela il le fait. Mais s'il avait reconnu être un disciple qu'aurait-on fait de lui? Qu'est ce qui serait advenu de la future église si ses deux chefs Jésus et Pierre avaient été mis à mort? Bon, c'est peut-être une pure spéculation, mais cela me conforte dans l'idée qu'il fallait que Pierre fasse l'expérience de sa trouille, de sa faiblesse pour devenir celui qui prendrait la parole devant toute une foule le matin de la Pentecôte.

Alors parfois je pense que pour nous, c'est un bien ce qui s'est passé là pour Pierre, d'autant que le regard que Jésus pose sur lui, comme le regard qu'il a posé sur le jeune homme qui voulait avoir en héritage la vie éternelle, est un regard d'amour. Ce n'est pas un regard de jugement ou de rejet, mais c'est le regard de celui dont le cœur est malade d'amour pour nous et qui voit au delà.

Alors merci à Pierre d'avoir fait cette expérience que nous faisons tous, d'une manière où d'une autre et qui finalement nous rend plus forts, plus capables de comprendre les autres et de laisser le regard amoureux de Jésus se poser sur nous.

Pierre raconte:

"Ils l'ont arrêté; j'ai pourtant essayé le le défendre et même, moi qui ne sais manier que les rames de mon bateau, j'ai  donné un coup d'épée dans le noir à un homme que je ne connaissais pas mais qui voulait mettre la main sur mon Maître. J'ai touché son oreille, et il s'est mis à saigner comme un bœuf; Jésus a posé la main sur lui et a arrêté le saignement, puis on l'a emmené. Qu'est ce que j'en veux à Judas qui a indiqué l'endroit où nous aimons passer du temps avec Jésus. Mais maintenant, ça se passe vraiment comme il nous l'avait annoncé. Il est arrêté et s'il ne se trompe pas, il va être battu, condamné et mis à mort. Et cela me tord le cœur.

J'ai vu qu'ils l'emmenaient dans la cour du grand-prêtre en attendant son procès, parce qu'il va y avoir un procès. J'ai suivi, parce que je veux voir, je veux savoir et je ne veux pas être loin de lui.

Il fait froid ce soir, et j'ai froid dans mon cœur. Il y a un feu et je me suis approché pour me chauffer; le feu, il est en plein milieu de la cour et il y a beaucoup de monde autour. J'espère bien passer inaperçu. C'est vrai que ma présence ici ne doit pas être très normale. Ils se connaissent tous et moi je suis un étranger.

Mais quand les flammes ont éclairé mon visage, une jeune fille qui doit être une servante a affirmé que j'étais avec lui. Et là, ça a été plus fort que moi, j'ai dit que je ne le connaissais pas. Et tout de suite après un homme a dit la même chose; et là encore je n'ai pas pu dire que oui, j'étais son disciple. Le temps a passé, je pensais bien que plus personne ne ferait attention à moi, sauf qu'il y en a eu un qui a affirmé que j'étais un des siens. Là encore j'ai fait comme si je ne comprenais pas ce qu'il me disait. J'ai pris un air stupide, idiot…

Seulement là, parce que le soleil se levait, un coq  a chanté… Et j'ai pensé à ce que Jésus m'avait dit, que je l'aurais renié trois fois avant que le coq ne chante; et en même temps j'ai senti son regard qui se posait sur moi.

Alors là, ça a été trop. Je n'en pouvais plus, j'aurais voulu disparaître; j'aurais voulu aussi sauter dans ses bras pour dire à tout le monde que cet homme là, c'est mon ami, c'est celui qui m'a choisi, c'est celui qui m'aime et qui est en train de donner sa vie pour que nous tous les humains nous soyons des amis de son Père.

J'ai quitté la cour, et moi, un homme, j'ai fait comme la Marie de Magdala, celle qui avait pleuré sur les pieds de mon maître, j'ai pleuré, pleuré, pleuré et cela m'a fait du bien. C'est étonnant, mais c'est un peu comme si j'étais neuf, parce que je savais qu'il m'aimait envers et contre tout, et que ce que je venais de vivre faisait de moi un autre.


La suite, vous la connaissez comme moi; mais ce qui s'est passé cette nuit là a fait de moi un autre homme, un homme avec un vrai cœur; un homme avec un cœur de chair et non un cœur de pierre, et je crois que c'est cela ce que le Seigneur voulait pour moi, pour que je puisse affermir mes frères.